ne donna que des encouragemens vagues et répondit qu’il ne pouvait rien, que l’Allemagne absorbait tout, qu’il fallait tâcher de se maintenir au Canada, d’y garder un pied, car, une fois chassé, on n’y reviendrait plus. Le gouvernement, après de longues délibérations, finissait par décider qu’on ne pouvait disposer en faveur de la colonie que de trois cent vingt-six recrues et du tiers des vivres implorés ! C’était la mort pour les vainqueurs de Carillon.
La discorde règne de nouveau entre les défenseurs du Canada. Vaudreuil oublie la généreuse démarche de Montcalm, qui était venu, la main ouverte, proposer au gouverneur une réconciliation impérieusement exigée par l’état de la colonie. Sous la pression de Bigot, la jalousie du gouverneur se réveille plus haineuse. On tient Montcalm éloigné des conseils du gouvernement ; il n’apprend que par la rumeur publique les projets de l’administration ; en un mot, on le met en quarantaine. « Il y a deux ans, écrivait Montcalm au ministre, que je ne cesse de parler de l’entreprise et de la descente que l’ennemi peut faire à Québec ; on ne veut rien prévoir ni rien ordonner. La capitale prise, la colonie est perdue. Cependant nulle précaution. J’ai écrit ; la réponse : Nous aurons le temps. » C’était le seul mot que M. de Vaudreuil, avec son air ennuyé, opposa aux exhortations de Montcalm. Tout se réunit pour accabler le stoïque général. En quittant la France, Bougainville a appris qu’une des filles de son général venait de mourir, mais il ne sait laquelle. « Est-ce la pauvre Mirète, qui me ressemblait, et que j’aimais tant ? » s’écrie le père. Il l’ignorera toujours. Tout lui manque à la fois, et il cherche à repousser de ses lèvres l’amer calice que la fatalité lui tend d’une main inexorable. Il est pris d’angoisses et d’un désespoir muet, analogue à celui qui le saisit lors de la disgrâce de Chauvelin. Montcalm se retrouve lui-même à la nouvelle de la marche des armées anglaises.
Le général Prideaux s’avance sur l’Ontario. Amherst, avec douze mille hommes, recommence la manœuvre d’Abercrombie sur le lac Champlain. Ce sont les deux fausses attaques, si l’on peut dire. La vraie se dessine sur le Saint-Laurent, menaçant Québec. De Louis-bourg, devenue la place d’armes de Pitt, part une flotte de vingt-deux vaisseaux de ligne, de trente frégates et d’une multitude de transports. Douze mille soldats sont à bord de ces navires. Un général d’un mérite consommé, Wolf, que la sagacité de Pitt avait jugé le seul homme de guerre digne d’être opposé au chef des troupes françaises, les commandait. Wolf était jeune ; il était dévoré de la passion de la gloire : s’illustrer et mourir était le seul sentiment de son cœur. Par le dédain de la vie, par l’amour de la gloire, de la patrie, Wolf et son rival appartiennent à la même race, à celle des héros,