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instinctif pour leur dignité stoïque et grave, l’estime que nous avons pour la grandeur d’âme et le courage, notre enthousiasme pour les vertus chevaleresques du Peau-Rouge, véritable preux, mais sans les entraînemens poétiques et tendres, exerçaient leur ascendant sur le cœur des sauvages. Il y avait donc bien des points par où la politique de Montcalm pouvait saisir ces farouches pleins d’orgueil, qui n’abandonnent point celui auquel ils ont engagé leur foi, et savent se dévouer et mourir. Mais à côté de ces vertus, qui offraient tant de prise à la diplomatie du général, que de mobilité !

Pour en faire des alliés, il fallait leur plaire en les dominant. Montcalm s’y applique de tout son cœur ; il met un gant de velours sur sa main de fer. Il devient Indien de pied en cap, vivant dans la familiarité des Peaux-Rouges, passant des journées entières à fumer le calumet dans les wigwams, assis à côté des chefs, devant le feu du conseil, méditant, gardant le silence qui convient à un grand guerrier. Cette attitude indolente n’est pas sans lui peser ; il lui faut, comme il dit, une patience d’ange. Il ne néglige rien pour captiver l’imagination de ses sauvages amis. On rencontrait au milieu des nations indiennes des charmeurs de serpens ; on juge du crédit qu’ils avaient sur ces esprits si prompts à s’enflammer. Montcalm les vit à l’œuvre et voulut, à leur exemple, subjuguer les reptiles. Il y réussit au grand enthousiasme des Peaux-Rouges, qui dès lors virent en lui un prophète, un sachem. Il les amena à servir sans eau-de-vie ! Il les convoquait à des assemblées fréquentes. On a le récit, comme la photographie de l’une d’elles, tenue un peu avant le siège de William-Henry. Montcalm, avec le souvenir de ses lectures grecques, pouvait se croire transporté à cinq mille ans en arrière, à quelque épisode de l’Iliade ou de l’Odyssée. Qu’on se figure la scène et le décor. Le lac Saint-Sacrement, tout inondé de lumière, semblable à un miroir chatoyant sous les rayons du soleil, déroule ses eaux limpides ; des îles couvertes d’arbres qui découpent en festons capricieux l’azur du ciel forment comme des taches d’ombre immobiles à la surface de cette nappe éclatante. De légères vapeurs s’élèvent dans les lointains, au-dessus des cataractes, adoucissant de leurs brumes transparentes la dureté de l’horizon. La forêt s’étend sur les rives avec des échancrures nombreuses, allongeant à perte de vue ses masses sombres sur les pentes de collines peu élevées. Au bord du lac, devant les pirogues tirées sur le sable, dans une clairière d’où l’on aperçoit, dans une perspective vague, les troncs des arbres qui forment comme les colonnes d’un temple, autour d’un feu, les chefs des cinq nations sont assis aux côtés de Montcalm. Montcalm se leva et prit la parole : « Mes enfans, dit-il, tant que durera notre union, l’Angleterre ne pourra nous