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Champlain et de Chouegen. Et tous ces résultats, il avait suffi d’un siège de quatre jours pour les obtenir. Montcalm, en vrai Grec antique, faisait élever sur le théâtre de sa victoire un trophée avec cette inscription : Manibus date lilia plenis. Et cependant son amour-propre d’artiste n’était qu’à demi satisfait ; il trouvait que le succès avait été trop facile et se croyait dans l’obligation de s’excuser auprès du ministre. « C’est peut-être la première fois, écrit-il, qu’avec moins de trois mille hommes et moins d’artillerie que l’ennemi on en a assiégé dix-huit cents, qui pouvaient être secourus par deux mille et s’opposer à notre débarquement avec leur supériorité de marine sur le lac Ontario… Toute la conduite que j’ai tenue en cette circonstance et les dispositions que j’avais arrêtées sont si fort contre les règlemens ordinaires que l’audace qui a été mise en cette entreprise doit passer pour de la témérité en Europe. En tout événement, j’aurais fait ma retraite, sauvé l’artillerie et l’honneur des armes du roi. Aussi je vous supplie, Monseigneur, pour toute grâce, d’assurer Sa Majesté que, si jamais elle veut, comme je l’espère, m’employer dans ses armées, je me conduirai par des principes différens. »

Cette victoire mettait fin à la campagne de 1756. Envahir la Nouvelle-Angleterre, c’eût été de la folie. Entreprendre un nouveau siège, attaquer William-Henry ? Comment eût-ce été possible dans un pays de forêts où il fallait construire des routes, établir des ponts, alors qu’on manquait de pontons, de chevaux pour traîner les pièces, de voitures pour porter les vivres dans ces déserts ? Et puis, si l’on voulait avoir du blé à manger l’année suivante, il fallait bien rendre la milice canadienne aux travaux de la terre.

Dans toute cette guerre étrange, on se heurte à un fait qui revient toujours : l’impossibilité de profiter de la victoire, faute de moyens. La pénurie des bras est si grande que le soldat est doublé d’un laboureur ; il abandonne la charrue pour le mousquet, il quitte le combat pour la moisson. De là arrêt forcé en pleine action, après un coup porté à l’ennemi.

C’est pour Montcalm un sujet d’inquiétude. En convoquant tous les contingens disponibles, on ne peut mettre sur pied que huit mille hommes, et c’est la ruine totale du pays. Il faut pourtant des soldats. Montcalm va les demander aux Peaux-Rouges. L’alliance avec les sauvages devient un des élémens indispensables de la lutte contre l’Angleterre. Amener à devenir nos auxiliaires ces natures farouches, en butte aux obsessions, aux menaces, aux caresses, aux représailles des Anglais, n’était point une œuvre facile. Cependant l’affabilité de nos manières, l’égalité familière, la bonhomie que nous mettions dans nos rapports avec eux, notre respect