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comme Québec et Montréal. Les navires ne dépassaient guère les cités établies dans l’estuaire du grand fleuve qui sillonne le Canada de l’ouest à l’est. Au-delà, leur carène ne fendait plus ces eaux, que ridait seul le sillage des canots, flottant à côté des arbres abandonnés au courant par l’insouciance des bûcherons de la rive. Peu de champs cultivés ; ce n’étaient que dans les vallées, dans les terres d’alluvion qui bordent les grands cours d’eau que se profilaient sur le ciel les toits des fermes ou des villages. Le reste du pays était sans habitations. De vastes forêts de chênes, de hêtres, de sapins, de bouleaux, couvraient ces solitudes. De grands lacs aux eaux profondes, des rivières et des marécages, des clairières recouvertes d’une herbe haute et touffue, où les sauvages installaient leurs wigwams, interrompaient çà et là la monotonie de la forêt. Point de routes dans ces grands bois, des sentiers à peine battus par les mocassins des Indiens déroulaient leurs méandres sous le dôme ligneux des branches séculaires. Les fleuves offraient seuls des voies de communication à l’activité commerciale ou guerrière ; encore étaient-ils fréquemment obstrués par des cataractes impossibles à franchir, si les navigateurs ne se décidaient à charger leurs canots sur les épaules ; c’est ce qu’on appelait faire le portage.

Contrairement à ce qui arrive dans la majeure partie des colonies, la souche de presque toutes les familles était pure. Des protestans encouragés par Sully, — de braves et honnêtes paysans, choisis par Champlain dans cette forte et intelligente race des laboureurs de Normandie et de Bretagne, — les officiers et les soldats du régiment de Carignan, magnifique phalange à qui les Hongrois devaient le gain de la bataille de Saint-Gothard, avaient formé le noyau de la population. Et comme le climat était âpre, comme la vie était rude, avec ses durs travaux champêtres, ses chasses dangereuses, ses voyages fatigans, les habitans ne s’amollissaient pas. Les fortes qualités que les diverses couches de l’émigration avaient déposées tour à tour, la vertu du sectaire, la patience du laboureur, l’héroïsme du soldat, n’étaient point tombées sur ce sol pour y rester dans un état d’isolement malsain ; elles s’étaient combinées dans une union étroite. La guerre, chose étrange ! en était cause. C’était le besoin d’une entente commune contre l’Anglais qui arrêtait toute discussion religieuse et supprimait les querelles intestines. Il fallait sans cesse faire le coup de feu contre les habits rouges. Toute guerre européenne avait son contre-coup au Canada, et c’était un champ clos où Français et Anglais étaient perpétuellement aux prises. Lutte de race avec la tactique des guérillas, une chouannerie avec ses longues fusillades, ses surprises, ses pillages,