Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/860

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Grèce. « Le combat n’est pas fini, » comme ils disent. D’ailleurs le sort que fait aux raïas le gouvernement de la Sublime-Porte ne les engage pas à prendre leur mal en patience. On connaît la douceur et l’équité de l’administration turque. L’état réclame des raïas des impôts énormes et des dîmes vexatoires, mais en revanche il ne fait rien pour eux. Les Turcs ne font pas de routes, car le proverbe musulman dit : « Faire une route, c’est tenter Dieu ; s’il devait y en avoir, Dieu en aurait certainement mis. » Le service des postes est des plus primitifs ; — encore n’existe-t-il pas partout. Les zaptiés, en trop petit nombre, sont impuissans à réduire le banditisme, qui est à l’état permanent. D’ailleurs les bandits ne sont pas ceux que redoutent le plus les raïas. Comme l’a dit M. Michel Chevalier, « en Turquie, le cultivateur est à la merci des brigands et des fonctionnaires, qui exercent le brigandage à leur façon. » Naturellement point d’écoles, sinon celles que les raïas construisent et entretiennent par souscriptions. La justice est au plus offrant et dernier enchérisseur. L’administration est toute arbitraire. Les conseils généraux peuvent éblouir de loin les turcophiles européens, mais c’est l’effet du mirage qui s’évanouit quand on s’approche. Sur douze membres, il y a sept fonctionnaires turcs, sans compter le pacha, qui est président. Des cinq membres à élire, trois seront élus parmi les musulmans, qui sont deux ou trois mille dans la province, et deux seulement dans la population chrétienne, qui compte cent mille âmes et quelquefois plus. Pour la chambre des députés, il semble que le gouvernement turc ne l’ait fait nommer qu’afin d’avoir le plaisir de la dissoudre et d’en exiler les membres. A-t-elle siégé quinze jours ? A la dîme, aux impôts, aux actes arbitraires, aux mesures vexatoires, aux froissemens des croyances, aux manières brutales ou méprisantes des pachas, des valis, des mudirs, des moutasérifs et autres mamamouchis, à l’obligation du bakchich aux juges et aux fonctionnaires, il faut ajouter de temps à autre les pillages, les incendies et les massacres des bachi-bozouks et même des rédifs réguliers.

On a beaucoup parlé des massacres de Bulgarie, grâce aux correspondans des journaux européens qui se trouvaient dans cette contrée. Les raïas grecs n’ont guère eu moins à souffrir de la férocité des Turcs en 1876 et en 1877. Des colonnes de rédifs, de bachi-bozouks, de Guègues laissaient des traces sanglantes de leur passage. Les hommes étaient rançonnés, battus, massacrés, pis encore quelquefois ; les femmes étaient fustigées et violées, les maisons étaient pillées et incendiées, les tombes et les églises étaient profanées et saccagées. Des faits analogues au massacre de Salonique se sont produits dans presque toutes les localités des provinces grecques de la Turquie. Mais comme ce n’étaient que de simples