Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pages un des pamphlets les plus violens et les plus forts qu’on ait jamais dirigés contre le christianisme[1].

L’importance de l’ouvrage mous fait vivement souhaiter d’en connaître l’auteur. Quel pouvait être ce Celse qui s’avisa d’écrire contre les chrétiens, et à quelle époque son ouvrage fut-il publié ? Origène, qui aurait dû le savoir, ne répond pas à ces questions d’une manière très précise. Le renseignement le plus sûr qu’il nous donne, c’est que l’auteur du livre auquel il a entrepris de répondre « n’est plus parmi les vivans, et qu’il y a longtemps qu’il est mort ; » il ajoute « qu’il a vécu au temps d’Hadrien et au-delà. » A la façon dont il en parle, M. Keim, et après lui M. Aubé, sont convaincus que c’est le même personnage à qui Lucien a dédié son dialogue du Faux Prophète. D’autres au contraire en doutent, et font remarquer que ce Celse auquel s’adresse Lucien devait être un épicurien de doctrine et qu’il avait écrit contre les magiciens, tandis que le nôtre est disciple de Platon et qu’il paraît croire à la magie. Dans tous les cas, ce qui est sûr, ce que M. Keim a établi d’une manière qui me semble irréfutable, c’est que l’ouvrage a été composé en 178, c’est-à-dire à la fin du règne de Marc-Aurèle.

Il est écrit en grec ; mais ce n’est pas une raison de croire, comme on l’a fait, que l’auteur habitât Alexandrie ou Antioche. C’est en grec aussi que Marc-Aurèle, tout empereur qu’il était, rédigeait ses pensées. M. Keim essaie de prouver que le livre de Celse a dû être composé en Italie et qu’il est l’ouvrage d’un Romain. De preuve directe, à vrai dire, il n’en a pas, mais tout se réunit pour le faire croire. Celse est un sujet dévoué, il n’entend pas qu’un citoyen déserte ses devoirs ; il veut qu’on aide le prince à gouverner l’état en prenant part aux fonctions publiques ; il ne peut comprendre qu’on refuse de jurer par le chef de l’empire. « Il n’y a pas de mal à le faire, dit-il, car c’est entre ses mains qu’ont été remises les choses de la terre, et c’est de lui que nous recevons tous les avantages de la vie. » Celse est un patriote ardent, et ce qui l’excite surtout contre le christianisme, c’est qu’il est convaincu qu’il expose

  1. Au dernier moment, nous recevons un ouvrage nouveau sur Celse ; c’est une thèse de doctorat soutenue par M. Pélagaud devant la faculté des lettres de Lyon, et qui fait honneur au jeune savant qui l’a faite et à la faculté qui l’a inspirée. Il est seulement fâcheux que, dans cette Étude sur Celse, M. Pélagaud ait cru devoir remonter trop haut. Il n’était pas absolument nécessaire, pour nous raconter « la première escarmouche entre la philosophie antique et le christianisme naissant, » de nous faire un tableau de la religion romaine et des origines du christianisme. Ces généralités, quoique d’ordinaire bien présentées, sont inutiles, et l’intérêt véritable du livre ne commence que quand on est enfin arrivé à Celse. M. Pélagaud connaît bien son auteur, il a lu avec soin les critiques allemands qui l’ont étudié. Comme M. Aubé, il part de l’ouvrage de Keim ; il en discute les conclusions, et il émet pour son compte quelques conjectures ingénieuses dont j’aurai l’occasion de parler. C’est en somme un début heureux et qui promet.