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christianisme au second siècle de sortir de ces bas-fonds où ses ennemis disaient qu’il était confiné et d’attirer à lui la société distinguée de l’époque. Ce qui faisait que cette société ne lui était pas favorable, Minucius Félix le savait bien. Il n’était pas un chrétien de naissance, mais un lettré converti, et l’on soupçonne à quelques mots qui lui échappent que sa conversion ne s’était pas accomplie sans peine. Il connaissait donc à merveille, et par son expérience personnelle, d’où venait la résistance que la société lettrée opposait à la doctrine du Christ : c’était, n’en doutons pas, de la peine qu’éprouvaient ces gens d’esprit à se séparer des admirations de leur jeunesse, à renoncer à l’étude de la philosophie, à la pratique des lettres, au culte des arts, à dire adieu à tous ces nobles divertissemens qui semblaient seuls donner du prix à la vie. On les croyait incompatibles avec le christianisme, qui paraissait les condamner rigoureusement, et plutôt que de se résigner à les abandonner pour toujours, beaucoup refusaient de devenir chrétiens. Minucius Félix voulait prouver que ce sacrifice n’était pas nécessaire. Au lieu d’insister, comme faisaient tant d’autres, sur les différences qui séparent la sagesse antique de la doctrine chrétienne, il fait voir que souvent elles s’accordent. On veut faire des philosophes d’autrefois des adversaires irréconciliables des disciples du Christ ; quelle erreur ! « Leurs opinions sont tellement semblables qu’on est forcé de croire ou que les chrétiens d’aujourd’hui sont des philosophes ou que les philosophes d’autrefois étaient déjà des chrétiens. » Et le voilà qui va chercher dans Zénon, dans Aristote, dans Platon les vérités que les docteurs de l’église ont depuis reprises et confirmées. C’est précisément le travail auquel se livrent aujourd’hui les ennemis du christianisme pour montrer qu’il n’était pas nécessaire, qu’il n’a rien apporté de nouveau dans le monde, et Minucius Félix employait pour le défendre les argumens dont on se sert pour l’attaquer. Le christianisme prêche l’unité de Dieu ; mais les plus grands philosophes l’avaient proclamée avant lui : « Leurs idées à ce sujet sont tout à fait les nôtres. » Il glorifie la pauvreté, il honore les martyrs ; mais le paganisme lui-même ne tient-il pas en haute estime le mépris des biens de la fortune, n’a-t-il pas ses martyrs aussi, les Mucius Scœvola, les Regulus, « qu’il porte jusqu’au ciel ? » Pour montrer que sur la nature de Dieu et ses rapports avec le monde, sur l’immortalité de l’âme, sur l’existence et le rôle des démons, la doctrine des philosophes n’est pas aussi contraire qu’on le dit à celle de l’église, il les cite, il les commente, il transcrit de longs passages de leurs œuvres, heureux qu’ils puissent trouver quelque place dans l’écrit d’un docteur chrétien. S’il leur fait des emprunts si peu voilés, ce n’est pas simplement pour faire voir « qu’il sait par cœur les bons auteurs ; » il a d’autres intentions et