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Il avait conséquemment à encaisser des sommes considérables et fournissait une caution beaucoup plus forte que les autres receveurs. Cette charge créait au reste pour celui qui l’occupait une lourde responsabilité, car plusieurs fois les créanciers du roi entendirent le rendre responsable des sommes qu’ils n’avaient pas touchées. L’ensemble des décimes payés par le corps ecclésiastique, de la fin du XVIe siècle à 1788, représente un chiffre très notable pour la fortune publique sous l’ancien régime. Voici quelques nombres qui donneront une idée des charges que supportèrent les biens du clergé. En 1598, cet ordre paya pour décimes extraordinaires 57,833 écus, en 1600 et 1601, 116,487 écus, en 1628, 3 millions de livres (il s’agissait de contribuer aux dépenses du siège de La Rochelle), en 1670, 2,200,000 livres, en 1693, 4 millions de livres, en 1710, 24 millions.

Les sommes extraordinairement accordées n’étaient pas au reste prises exclusivement sur les bénéficiers. Une fraction en était quelquefois fournie par les officiers des décimes, dont les charges, d’abord assez lucratives, leur permettaient, grâce aux taxes à eux accordées, de réaliser d’assez gros profits. Disons au reste que l’impôt acquitté par le clergé était beaucoup plus équitablement réparti dans son sein que ceux que payait au roi l’ensemble de la nation. Il était en effet constamment proportionnel au revenu du bénéfice, et il n’y avait pas de solidarité, pour l’acquittement des sommes votées, de diocèse à diocèse, de bénéfice à bénéfice. Cependant il s’introduisit divers abus dans la levée des décimes, abus analogues à ceux qui existaient en si grand nombre sous l’ancien régime dans la perception des impôts. Sans parler de quelques bénéficiers qui trouvèrent moyen, sous divers prétextes, d’obtenir des modérations excessives, de grands dignitaires de l’église eurent des exemptions totales des décimes, Tel était notamment le cas pour les cardinaux. Richelieu, qui se montra plusieurs fois fort exigeant dans ses demandes d’argent au clergé, ne se fit pas faute de réclamer la décharge des sommes auxquelles étaient taxés les nombreux bénéfices qu’il possédait, et les assemblées qui prononçaient en pareille matière n’osaient lui refuser cette faveur. Quoique le clergé régulier fût astreint comme le clergé séculier à acquitter les décimes, plusieurs ordres religieux prétendirent s’affranchir de cette obligation. L’ordre de Saint-Jean de Jérusalem contesta pendant longtemps qu’on eût le droit de l’imposer, malgré les déclarations royales qui lui enjoignaient de payer. Il y eut procès sur procès, réclamations sur réclamations et de longs débats à cet égard au sein des assemblées ; le litige ne se termina qu’en 1606 par une transaction qui fut connue sous le nom de composition des Rhodiens ; elle réduisait à une somme de 28,000 livres la quote-part que l’ordre de Malte devait payer en vertu du