Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apologies dont on ait gardé le souvenir, celles de Quadratus, d’Aristide et de saint Justin, Elles étaient adressées à l’empereur et au sénat, c’est-à-dire aux plus grands personnages de Rome, et ce qui semble prouver qu’ils les ont lues, c’est qu’à partir de ce moment la doctrine chrétienne est plus connue et mieux comprise dans le monde païen.

On peut donc affirmer que de l’an 118 à l’an 160, les écrits des apologistes répandirent la connaissance du christianisme parmi des gens qui en avaient à peine entendu parler, et qui le détestaient de confiance. Mais est-il probable que les chrétiens, pour répondre aux calomnies dont on les poursuivait, n’aient eu recours qu’à des écrits, et qu’ils n’aient pas employé aussi la parole, c’est-à-dire la prédication et la controverse ? La parole n’était pas surveillée avec autant de rigueur qu’on le croit dans cette société si sévèrement gouvernée. On parlait sans se gêner dans les écoles, et c’était un lieu commun d’y déclamer contre les tyrans. Des philosophes couraient le monde, traitant tous les sujets devant le public réuni, s’attaquant sans être censurés aux questions les plus délicates de la religion et de la morale, se livrant entre eux à des tournois de parole où les personnes et les systèmes se choquaient ensemble dans de libres discussions. C’était une occasion commode pour les chrétiens de développer leurs opinions et de se faire des adeptes ; mais il semble qu’ils n’en ont guère profité. On les accuse, dans l’Octavius, de « fuir le grand jour, de se taire en public, et de n’être bavards que lorsqu’ils vous tiennent dans un coin, latebrosa et lucifuga natio, in publicum muta, in angulis garrula. » Celse leur fait le même reproche avec encore plus de violence. « On ne voit pas, dit-il, les coureurs de foire et les charlatans ambulans s’adresser aux hommes de sens et oser faire leurs tours devant eux ; mais s’ils aperçoivent quelque part un groupe d’enfans, d’hommes de peine ou de gens sans éducation, c’est là qu’ils plantent leurs tréteaux, exhibent leur industrie et se font admirer. De même quand les chrétiens peuvent attraper en particulier les enfans de la maison ou des femmes qui n’ont pas plus de raison qu’eux, ils leur débitent leurs merveilles. » Après tout, il était assez naturel qu’une religion qui se savait méprisée et poursuivie, que le rescrit de Trajan plaçait dans cette situation fâcheuse d’être tolérée à la condition de ne pas se faire connaître et d’être punie dès qu’elle sortait de son obscurité, n’osât pas parler haut, et se répandît plutôt par une sorte de propagation intérieure et domestique que par des prédications bruyantes. Cependant, à l’époque même où Celse composait son livre, elle venait d’être publiquement prêchée à Rome dans des circonstances qui méritent d’être rappelées. Un chrétien, sorti des écoles de philosophie, saint Justin, profita de cette liberté de parole