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complétant son travail par ceux des critiques allemands qui se sont occupés des mêmes questions.


I

Ce furent les persécutions qui firent connaître les chrétiens. Dans ce grand monde de Rome, où l’on était livré avec tant d’ardeur aux plaisirs de la vie et aux soucis de la fortune, on ne se serait guère enquis de ces sectaires obscurs, s’il n’avait pris fantaisie à Néron de les punir de supplices extraordinaires. Sa cruauté attira l’attention sur eux ; elle pouvait être un grief de plus contre le tyran, et la société distinguée de Rome, qui le détestait, se trouvait tentée de plaindre ses victimes rien que pour avoir un nouveau prétexte de maudire leur bourreau. C’est ainsi que leur nom, qui la veille était ignoré du plus grand nombre, fut connu de tous le lendemain.

Mais on ne connaissait encore que leur nom, et peu de personnes s’inquiétaient de leur doctrine. Leur condition, qui en général était basse, leur origine, qui les rattachait à une race méprisée, les rendaient suspects. On les accusait sans preuve de crimes abominables ; ceux mêmes qui les plaignaient par un sentiment d’humanité généreuse, comme Tacite, s’empressaient d’ajouter que du reste « ils étaient coupables et qu’ils méritaient les dernières rigueurs, adversus sontes et novissima meritos. » Pour que la nouvelle religion pût s’étendre, il fallait d’abord que ces préjugés fussent dissipés. C’est ce qu’elle tenta de faire dès qu’elle commença à gagner les classes éclairées, quand elle eut pénétré dans ces écoles de rhéteurs et de sophistes qui en général lui demeurèrent hostiles jusqu’à la fin, mais où elle fit pourtant dès le début quelques conquêtes éclatantes. Le premier soin de ces nouveaux convertis, qui tenaient une plume et savaient s’en servir, fut de défendre la doctrine qu’ils venaient d’embrasser. Il leur était difficile, en la défendant, de ne pas attaquer la doctrine contraire ; ils ne pouvaient se justifier de l’avoir quittée qu’en montrant ce qu’elle contient de déraisonnable et d’immoral. Leurs apologies renfermaient donc à la fois une exposition de la nouvelle religion et une critique violente de l’ancienne.

Ainsi ce furent les chrétiens qui entamèrent le combat, et l’on peut préciser le moment où la lutte a dû commencer. Les écrivains de l’époque de Trajan connaissent mal le christianisme et commettent des erreurs grossières quand ils en parlent. Au contraire Celse, qui vivait dans les dernières années de Marc-Aurèle, l’a étudié de très près, et dès lors les lettrés, les gens du monde paraissent être beaucoup plus familiers avec lui. Or on sait que dans l’intervalle, pendant les règnes d’Hadrien et d’Antonin, ont paru les premières