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dernier chant, les Noces, est d’une émotion poignante ; il n’y arien de pareil dans Hermann et Dorothée. Or, ce que l’auteur avait imaginé dans ses fictions poétiques de 1869 devint pour lui l’année suivante la plus cruelle, des réalités. Le livre intitulé : Pendant la guerre, et qui reparut bientôt après dans les Poèmes civiques, semble la continuation des cinquième et sixième chants de Pernette, l’Invasion et les Francs-chasseurs. Je n’y voudrais effacer que les insultes à un régime tombé. Il faut pardonner beaucoup à la passion, mais M. Victor de Laprade est une âme trop généreuse pour que les violences de langage ne sonnent pas comme une note fausse en ses nobles concerts.

Et puis les choses changent si vite en ce mobile pays ! Les crimes d’en bas viennent si vite effacer les injustices d’en haut ! Il est difficile de ne pas éprouver, même au point de vue du poète, une sorte de confusion pénible, quand on parcourt le recueil de comédies aristophanesques écrites par lui en 1862, et publiées en 1875 sous ce titre, devenu faux : Tribuns et Courtisans. C’est la date surtout qui éveille nos scrupules. Que treize années auparavant, au plus fort de sa lutte avec les gouvernans d’alors, frappé d’une façon illégale par un ministre violent et maladroit, il se soit vengé par une vive satire des mœurs politiques du temps, qu’il ait bafoué les dévots intrigans, pharisiens et pharsiennes, les tribuns de la veille transformés en gens de cour, les voltairiens devenus les ennemis de toute liberté, à la bonne heure ! Le poète alpestre rendait coup pour coup, et il pouvait dire avec autant d’esprit que de hardiesse :

Pardonne-moi, lecteur, ce monde où je te mène ;
Nous habitions jadis un tout autre domaine ;
Sur de libres sommets nous prenions nos ébats.
On nous a tant crié : « Plus bas, plus bas, plus bas ! »
Qu’il a fallu se mettre au niveau de l’époque :
Nous y voilà !… tant pis si ce goût est baroque.
Donc, il faut être humain, vrai, réel, actuel,
Quitter enfin la lune et le septième ciel,
Savoir son temps, le voir tel qu’il est et le peindre.
Je l’ai fait cette fois, on ne peut plus se plaindre.
……….
J’ai peint d’après nature, étant fort incapable
De rien imaginer en matière semblable.
Ces fidèles portraits des grands et des petits
Ne sont pas brevetés, mais je les garantis.
Rien n’est là de mon cru, je vous le certifie ;
J’ai fait tout bonnement de la photographie.


Fort bien ; mais ce qui était courageux en 1862 convenait-il en 1875 ? Dès 1863, bien des choses avaient changé. M. Rouland n’avait