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des leçons au songeur énervé. — Ce songeur, c’est lui peut-être qui se nomme Franz dans la Symphonie alpestre ; mais comme il est guéri de son mail comme il gravit allègrement les Alpes ! Ce qu’il va chercher sur les cimes, le noble Franz, c’est l’oubli du monde et de ses misères. Il va demander aux scènes de la montagne le repos, la force, l’apaisement des troubles intérieurs, l’amour de la liberté, l’horreur du vice et des lâchetés humaines. Tous les chants qu’il entend sur sa route, la voix des sapins, le Ranz des vaches, le chœur des chamois, exaltent en lui l’enthousiasme des hauts lieux ; il monte toujours et va purifier son âme sur les glaciers. Mais quoi ! se détacher ainsi du genre humain ! se complaire en une froide et dédaigneuse vertu ! n’est-ce pas là une tentation de l’orgueil ? Franz a trouvé le remède qui le préservera du péril. La dernière voix qu’il entend sur les cimes, c’est la voix des religieux, le chœur sublime des hospitaliers qui lui enseigne la charité et le dévoûment. Cette éclatante et généreuse peinture méritait bien d’être dédiée à Lamartine.

Il faut citer encore quelques-unes des pièces qui accompagnent ces belles Symphonies : Fausta, souvenir des grandes luttes de l’Italie contre ses oppresseurs tudesques, drame de l’amour et du patriotisme qui se termine par une héroïque fusillade ; les Deux muses, où la poésie hellénique, avec sa sérénité olympienne, s’incline devant la poésie plus profonde des modernes ; le Bûcheron, où le rude paysan, condamné par métier à détruire sa vieille forêt natale, éprouve comme le remords d’un sacrilège, si bien que c’est le poète lui-même qui est obligé de rassurer sa conscience. Comme ce dernier poème nous révèle une pensée devenue chaque jour plus humaine ! Ce n’est pas l’auteur des Odes et Poèmes qui eût consolé ainsi le vieux bûcheron, il eût joint sa plainte à sa plainte et maudit la cognée meurtrière. Plus calme aujourd’hui, plus ouvert aux choses de l’humanité, il lui montre la marche des sociétés sur la terre, la beauté des grands défrichemens, le vallon obscur et humide s’ouvrant aux rayons du soleil, la fourmilière laborieuse s’emparant du sol, les bruns moissonneurs soupant sous les cerisiers, les beaux enfans joufflus rentrant à la ferme aux soirs des vendanges sur les charrettes chargées de raisins. Ce poète alpestre qui, sans perdre de vue les sommets, redescend avec grâce vers les vallons et les villes, voulez-vous le voir encore dans plus d’une page des Symphonies ? lisez les Taureaux, les Conseils des champs, le Baptême de la cloche, et surtout les strophes A une jeune fille poète, ces strophes toutes souriantes, toutes gracieuses, qui se résument en ces deux vers :

Le génie est bien beau !… J’aimerais mieux l’amour,
Si j’étais jeune fille !