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même se fait entendre ! Ainsi Beethoven recueillait les voix du monde extérieur, et, combinant l’andante, l’allegro, le scherzo, formait de tous ces bruits et de tous ces contrastes l’orchestre merveilleux dont M. de Laprade voudrait lui dérober le secret.

La seule critique utile est celle qui fournit ses preuves, pour l’éloge comme pour le blâme. Si je résume mes impressions personnelles sans les justifier, je ne fais pas même la moitié de ma tâche ; les quatre symphonies de M. de Laprade méritent une attention spéciale. Voyez d’abord la Symphonie des saisons ! le poète veut montrer en traits expressifs le néant des choses humaines et les tristesses d’ici-bas ; écrira-t-il une pièce philosophique et abstraite ? recommencera-t-il avec les inspirations qui lui sont propres les admirables novissima verba de Lamartine ? Non, il essaiera de mettre sa pensée en action.

Une jeune fille est assise au sein d’une prairie en fleurs. Son nom est Adah et vous pouvez voir dans cette fiction gracieuse un être réel ou un symbole de l’âme. Le printemps sourit, les fleurs s’entr’ouvrent, la rosée brille au calice des primevères. Quel charme dans cette nature qui revit, mais quel charme enivrant et perfide ! L’abeille qui bourdonne, la marguerite qui s’épanouit, la source qui murmure, tout s’agite, tout s’anime pour séduire l’inexpérience de la vierge et lui verser le filtre des enivrantes paroles. Bientôt voici l’été, voici les heures brûlantes du jour et les tièdes heures de la nuit. Ah ! prenez garde ! l’ivresse de la volupté est partout, dans le parfum des roses, dans le chant du rossignol, dans les vagues de la mer qui frémissent au soleil. « O mon bien-aimé ! s’écrie Adah, viens ! partons ! tu es mon ciel et mon dieu ! Pour toi je suis résolue à tout abandonner ! » Et tandis qu’elle parle ainsi, le chœur des sirènes module ses incantations pour étouffer plus complètement la timide voix de la conscience. Mais tout à coup à ces brûlans tableaux l’auteur fait succéder les tristesses de l’automne : écoutez le vent qui siffle dans les feuilles sèches ; écoutez aussi, comme un scherzo moqueur, l’insolente chanson du merle ! Le temps est gris, la nuit tombe, les feux follets commencent à voltiger lugubrement au-dessus des marais et des cimetières. Que fait Adah ? Trompée par les plaisirs menteurs, qui ne laissent que de la lie au fond de la coupe, elle s’obstine à ne pas entendre la voix de son âme, et, pour se venger de son espérance déçue, elle invoque les deux divinités de l’impie, l’ironie et l’orgueil. Est-ce tout ? Non. L’hiver est arrivé, froid, glacial, ténébreux ; les corbeaux s’abattent sur les corps morts ; l’essaim des noirs esprits, gnomes, dragons, vampires, prend possession de la nature. Sortent-ils des entrailles de la nature, tous ces hideux fantômes, ou du cœur desséché de la jeune femme ?