les blocs que vous aviez ébauchés de votre main dans l’atelier de l’univers. Si une idée errante, une image, une pensée, était restée par mégarde inachevée sous vos mains, ou sur les flots, ou sur les monts, ou dans l’air qui m’entourait, c’est moi qui finissais de la créer avec mon ciseau… Si vous faites, Seigneur, un nouveau monde, prenez-moi à votre service. Je pétrirai dans mes doigts, avec mon argile de Corinthe, des urnes pour y mettre les larmes du nouveau genre humain. Dans votre cour, je taillerai d’avance des tombeaux de cornaline, pour y verser la cendre des peuples à venir ; et j’élèverai, si vous voulez, une colonne funéraire du beau marbre de mes îles sur le monde qui se meurt. » C’est ainsi qu’à la dernière journée d’Ahasvérus, dans la vallée de Josaphat, Athènes met son génie aux ordres du Père éternel pour la création qui se prépare, mais le Père éternel lui répond : « Tu n’as jamais songé, toi, qu’à ta beauté. La vie n’a été pour toi qu’une grâce de plus, une parure à ton néant, une écharpe luisante qui te voilait mon astre. Encore à présent avec la poussière d’albâtre que tu foules à tes pieds, avec les acanthes de marbre rongé dont tu couronnes ta tête, avec les odeurs de jacinthe que tu sèmes après toi, avec tes dalles qu’ont usées les chevaux des vaïvodes, avec tes colonnes étendues dans les blés comme de blanches moissonneuses qui se reposent à l’ombre, tes charmes sont plus grands que dans tes fêtes païennes… Va ! laisse à tes pieds ta charge de colonnes. Leur fût est trop brisé pour servir à mon œuvre. »
M. Victor de Laprade ne tarda point à s’appliquer ces paroles d’Edgar Quinet. Nous avons déjà dit que, si l’auteur d’Antigone avait été son premier maître, le second était l’auteur de Prométhée. Aussi, malgré sa fidélité ardente au génie hellénique, il sentit bientôt que la Grèce ne pouvait être la seule patrie de son intelligence. Il y avait pour l’artiste d’autres matériaux à mettre en œuvre que les matériaux de l’Attique ; pour le poète et le penseur, il y avait d’autres terres à visiter que la terre même d’Orphée et d’Antigone, d’autres cieux à interroger que le ciel même d’Aristote et de Platon. De ce voyage imaginaire le voilà revenu sur la terre de France. Qu’y trouve-t-il tout d’abord ? Notez, je vous prie, la situation de son âme. Il vient d’admirer en Grèce une sorte d’humanité idéale, l’humanité qui a créé l’art et la science, la poésie et la philosophie, il s’est enivré de cette contemplation délicieuse, il y a découvert une religion si belle, si noble, que le christianisme, avec son cortège de traditions juives, a passé pour lui à un rang inférieur. De cette humanité divine à l’humanité de nos jours, de cet âgé d’or au XIXe siècle, quelle distance, hélas ! et quelle chute ! Lorsque le poète redescend chez ses contemporains, il ne voit