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philosophiquement le christianisme, à en étendre sans fin les applications terrestres, à montrer l’accroissement continu du bien, l’émancipation générale de l’homme, la salvation universelle ; l’auteur de Psyché, dans la fière exaltation de la jeunesse, a cru et dit un instant que l’humanité pouvait se passer du christianisme. Pour instituer les lois souveraines du cœur et de la raison, pour établir les rapports de l’homme et de Dieu, pour attacher la vie d’ici-bas à nos destinées éternelles, c’était assez du monde grec sans qu’il fût besoin de recourir au monde juif. Est-ce que les grands poètes, les grands sages, les grands artistes de la cité de Périclès, ne répondaient pas aux aspirations de l’âme religieuse ? Est-ce qu’ils ne fournissaient pas du moins le point de départ. Il ne restait plus qu’à suivre leurs exemples, à imiter leurs élans, à continuer leurs conquêtes, à compléter leurs doctrines, par exemple à y ajouter des effusions d’amour au moyen du mythe de Psyché ; on avait alors la religion du beau et du bien, une religion issue du sein même de l’humanité, formée de ce qu’il y a de plus pur dans le cœur et les entrailles de l’homme, la religion de l’homme-Dieu.

Naïves témérités d’une belle âme ! Confiance superbe et ingénue ! Lorsque M. Victor de Laprade rectifia plus tard ses erreurs, il n’eut qu’à s’en détacher le plus simplement du monde et sans le moindre embarras. Il n’y avait qu’un esprit de noble race qui pût se tromper de la sorte. J’ajoute même que de cette théologie trop juvénile M. de Laprade a eu le droit de garder plus tard, en toute sécurité de conscience, une part considérable. Au jugement des docteurs les plus autorisés la religion naturelle est le fondement de la révélation, et vraiment il serait bien maladroit le penseur chrétien qui méconnaîtrait ce que le génie de la Grèce antique fournit d’argumens et d’exemples à la religion naturelle. Ce culte poétique et moral de la Grèce. M. de Laprade n’y a jamais renoncé. Devenu, ou redevenu chrétien, suivant le développement logique de son esprit, il peut répéter en souriant la plupart des vers de sa Psyché, tant ses aspirations nouvelles venaient se rattacher sans effort à ses premières doctrines, pour en être à la fois le commentaire et le correctif. Il ne glorifiait plus l’orgueil et la volupté, même dans le sens mystique ou se complaisait naguère sa pensée enthousiaste ; il chantait toujours l’héroïsme moral, les travaux de la vie intérieure ; les énergies sublimes de l’âme et son invincible espérance.


II

« Avec mon ciseau, j’ai sculpté dans mon rocher de Pentélique