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donné son Antigone, Edgar Quinet avait déjà publié son Prométhée, Antigone et Prométhée, c’est-à-dire poésie, philosophie, religion, tout l’hellénisme, développé d’âge en âge par la grande tradition humaine, apparaissait de plus en plus à M. Victor de Laprade comme la foi la plus haute.

Une seule chose manquait à cette religion : la tendresse profonde, la piété douloureuse, cette ferveur passionnée dont il est dit que les violens ravissent le ciel. Elle avait la sérénité, la confiance, le sentiment de l’idéal, la beauté philosophique, elle n’avait pas l’amour ! C’est l’amour que le poète voulut découvrir dans le trésor des légendes helléniques, comme le filon le plus précieux, comme la veine la plus cachée de la mine d’or, afin d’en faire une couronne à sa foi. Ces mots d’amour, de piété, de grâces arrachées au ciel, reviennent sans cesse sous sa plume, quand il invoque l’inspiration au début de son poème de Psyché :

Nul ne peut devancer l’heure par vous choisie,
O grâces ! pour verser en lui la poésie.
Mais l’artiste pieux, au cœur pur et sans fiel,
Peut, à force d’amour, vous arracher au ciel.
Venez donc ! Vous savez si l’art m’est chose sainte,
Si j’ai touché jamais à la lyre sans crainte,
Si j’attends rien de moi, si l’orgueil me nourrit,
Et dans quel tremblement j’invoque ici l’esprit…


Ce tremblement en face de l’esprit indique bien un sacerdoce. Le poète de Psyché a quelque chose du prêtre. On dirait un hiérophante s’efforçant de mettre le dernier sceau à sa religion inachevée. Psyché n’est pas autre chose que l’accomplissement de ce culte auquel manquait l’amour divin.

Voyez plutôt. Psyché, c’est-à-dire l’âme immortelle, l’humanité idéale sous la forme d’une vierge rayonnante de grâce, s’éveille parmi les enchantemens d’un monde qui n’attendait que sa venue. Aube délicieuse ! tout lui sourit, tout lui chante les félicités de l’amour. Les oiseaux, les fleurs, la terre et les eaux, la chaude lumière et la brise embaumée, tout lui parle de joies inconnues, tout lui fait pressentir de mystérieuses ivresses. Est-ce donc ce monde qu’elle doit adorer ? ou plutôt quel est le maître, le créateur, quel est le principe et l’âme de cette harmonie incomparable ? où est le roi invisible dont ce monde lui a révélé la puissance ? À cette question de Psyché, le chœur des créatures répond par des cantiques d’enthousiasme : le roi du monde, c’est le dieu devant lequel s’inclinent tous les dieux, c’est Éros, c’est l’amour. Le voici ! L’amour lui-même, Éros, dans les ombres de la nuit, est venu visiter la demeure splendide de la vierge et s’unir à Psyché… Mais