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que dans l’éducation des hommes. Fénelon approuvait que les filles apprissent le latin ; mais il blâmait l’étude de l’italien et de l’espagnol. Aujourd’hui nous voulons avec raison que les femmes apprennent les langues vivantes[1] ; comment, sans exagération, leur imposer en même temps à toutes l’étude des langues anciennes ? Il en est de même des sciences : il s’en faut de beaucoup qu’elles dépassent la portée des facultés féminines : on peut dire même que les femmes auraient plutôt une aptitude naturelle pour les sciences. Mais ici encore il faut ménager leurs forces et ne se borner qu’à ce qui est utile et intéressant.

On voit que la question des études communes est très différente de celle de l’égalité ou de l’inégalité des sexes, question où nous n’avons pas l’imprudence de vouloir nous engager. Quoi qu’on fasse, la femme est femme, l’homme est homme, et il est impossible de pousser l’égalité jusqu’à l’identité. Pourquoi n’admettrait-on donc pas l’égalité dans la différence ? Pourquoi la fonction sociale par excellence à laquelle la femme est appelée, et où elle ne peut être remplacée par personne, n’entraînerait-elle pas certaines différences dans le mode d’éducation ? Une civilisation trop chargée nous force aujourd’hui malgré nous d’encombrer d’une infinité de notions diverses les cerveaux masculins ; profitons de la différence des sexes pour préserver de cet encombrement la moitié du genre humain. Une instruction solide et élégante, voilà le but, et plus elle sera sobre, si elle est bien entendue, plus l’intelligence féminine en profitera.

La question de la coéducation est de beaucoup ce qu’il y a de plus curieux et de plus instructif en Amérique, et c’est pourquoi nous y avons longuement insisté. Il y a encore cependant une autre question, une autre expérience psychologique d’une non moins grande importance et sur laquelle il serait bien intéressant d’avoir des renseignemens précis : malheureusement cette expérience est beaucoup trop récente pour donner encore des résultats positifs. Il s’agit de l’éducation des noirs.

L’éducation des noirs, qui a été le résultat inévitable de l’émancipation et que les Américains ont entreprise avec l’ardeur qu’ils mettent à toute chose, est certainement la plus grande expérience sociale et morale qui ait jamais été tentée : elle intéresse l’humanité tout entière, car il s’agit de savoir s’il n’y a qu’une seule espèce humaine ou s’il y en a plusieurs, au moins au point de vue intelligent et moral. Jamais une expérience aussi considérable et aussi vaste n’a été entreprise. Jamais une race humaine n’a tenté d’en instruire

  1. Nous pensons même que dans le nouvel enseignement que l’on veut fonder l’étude des langues modernes doit être la base comme celle des langues anciennes chez les garçons.