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étudie le calcul différentiel ; il s’agit de son droit et non de notre goût… On ne voit pas de quel droit une moitié de la société interdirait à l’autre un certain nombre de moyens d’existence ? Allez, il en restera toujours assez pour préférer la coquetterie à l’étude, toujours assez pour nous préserver du grand malheur d’ignorer les modes de Paris : ceux qui n’ont pas d’autre crainte que de voir les charmes féminins altérés par le contact du grec et des sections coniques peuvent se rassurer. »

Nous admettons sans restriction le principe du chancelier de Syracuse, nous admettons le droit de la femme à lire Homère et à étudier les sections coniques ; nous irons même plus loin que lui, nous ne croyons point du tout que la femme perde nécessairement sa grâce, et nous ne voyons pas pourquoi elle renoncerait aux modes de Paris pour avoir lu Homère et étudié les sections coniques. Il est déjà en France même un certain nombre de jeunes filles qui ont lu Homère dans le texte et qui ont vaincu les jeunes gens aux examens de leur ressort, et l’on peut affirmer qu’elles n’ont perdu en rien pour cela l’élégance et le charme de leur sexe ; la science n’est pas à ce prix. Henriette aujourd’hui serait peut-être de celles qui apprendraient le grec, et je suis persuadé qu’elle n’en aurait pas moins d’esprit et de bon goût pour cela. Enfin nous ne croyons pas du tout qu’il faille choisir entre la coquetterie et l’étude ; pour ne pas être une savante, on n’est pas pour cela une coquette, et une certaine nuance de coquetterie légitime n’a rien d’incompatible avec l’étude.

On voit quelles concessions nous faisons au savant américain, mais nous répondons en même temps : autre chose est le droit de la femme, autre chose le devoir de l’état. Le droit à l’étude d’Homère ne peut être contesté ; mais l’état n’est nullement obligé de le satisfaire. Que des jeunes filles très distinguées, dans des conditions favorables, travaillant avec leurs frères, ou guidées par un père qui serait lui-même un savant, que celles enfin à qui un tel goût viendrait naturellement puissent avoir le moyen de s’y livrer, qu’on les défende même contre les sottes objections de la frivolité mondaine, nous le répétons, c’est un droit, et il n’y a certainement pas lieu de décourager de telles vocations, qui font honneur aux femmes, et montrent jusqu’où elles peuvent s’élever ; elles apportent même dans ces sortes d’études une grâce, une légèreté, une finesse que nos lourdauds d’écoliers n’ont pas toujours ; mais est-ce là un régime commun, uniforme, à imposer à la fois comme règle à toutes les femmes qui voudront s’instruire ? Non ; car les raisons qui commandent aux hommes ce mode d’éducation ne s’appliquent pas aux femmes. En supposant même que quelques notions de langues anciennes pussent être introduites dans l’éducation des filles, toujours est-il qu’il y faudrait même plus de mesure et de sobriété