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C’est là toute la question au début de la présidence nouvelle. Il est bien certain en effet qu’il y a ou qu’il peut y avoir deux républiques ; il y a du moins et plus que jamais deux politiques en présence dans l’application pratique des institutions qui ont été données à la France. Ce qui a existé jusqu’ici, ce qui existe encore est l’œuvre d’une de ces politiques qui a son histoire écrite dans ces huit années laborieuses écoulées depuis les désastres qui ont accablé le pays. S’il y a un fait évident, éclatant à la lumière de cette histoire, c’est que la république n’est devenue possible et n’a réussi à désarmer bien des résistances, à dissiper bien des préventions, à rallier une multitude d’esprits sensés, que parce qu’elle a su se modérer, se dépouiller de ce qu’elle avait d’exclusif, s’adapter aux mœurs, aux intérêts, aux besoins de sécurité de la société française, parce qu’elle a trouvé de toutes parts des représentans, des auxiliaires faits pour l’accréditer. M. Thiers lui a imprimé pour ainsi dire son empreinte, il lui a tracé la voie, il lui a donné ses programmes, il lui a indiqué aussi les écueils contre lesquels elle pouvait aller se briser. Au milieu de toutes les difficultés douloureuses du territoire à délivrer et d’un gouvernement à recomposer au lendemain d’une guerre ruineuse, à travers toutes les contradictions des partis, il a été le négociateur patient, mesuré, ingénieux, de l’avènement d’un régime qu’il considérait désormais comme le seul possible en France ; il le considérait comme le seul possible à la condition qu’en protégeant les intérêts libéraux il pût être conservateur et rester sage, selon son expression familière. C’est M. Thiers qui a donné en quelque sorte son esprit à la république, ce sont les lois constitutionnelles qui lui ont donné, après M. Thiers, la consécration légale. Ces lois si laborieusement conquises ont été pour le régime nouveau l’organisation définitive et régulière, dépouillée de toutes les théories chimériques, de toutes les combinaisons anarchiques, ramenée aux conditions invariables des gouvernemens, et la facilité avec laquelle s’est accomplie hier la transmission du pouvoir prouve assez que cette constitution de 1875 peut suffire à tout : elle a eu certainement le mérite de rendre le régime républicain viable. Quoi encore ? la présidence de M. le maréchal de Mac-Mahon lui-même n’a point été inutile à la république ; elle a été une garantie pour beaucoup de conservateurs hésitans et inquiets, pour bien des esprits incertains. Elle a positivement servi à sa manière le régime nouveau, cette présidence militaire qui finit, et peut-être même M. le maréchal de Mac-Mahon a-t-il rendu un service plus grand encore à la république en la soumettant à quelques-unes de ces épreuves dont on ne devrait pas trop se plaindre, puisqu’elles ont eu leur utilité, puisqu’elles ont montré aux républicains que la meilleure manière de conquérir le pouvoir était de le mériter par la prudence, par l’esprit pratique, par la modération. De tout cela il est résulté un ensemble de