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empêché de périlleuses tentatives de restauration par une inviolable fidélité au drapeau ; ils oublient que plus que tout autre le dernier président a contribué par son initiative à faire voter les lois constitutionnelles qui ont décidé l’établissement définitif de la république. À sa manière et par résignation si l’on veut, il subissait cette puissance des choses que M. Thiers avait résolument reconnue avec la clairvoyance supérieure de son esprit. On raconte que M. le maréchal de Mac-Mahon disait un jour à un de ses amis : « Voyez ce que c’est ! J’appartiens par ma famille à l’ancienne monarchie, par ma carrière à la monarchie de juillet et à l’empire, et me voilà obligé par devoir de travailler à la fondation d’un régime que je n’aime guère. » C’était l’expression naïve des contradictions morales qui compliquaient sa position. Il est certain que ces contradictions ont pu lui être quelquefois pénibles, surtout depuis un an, et si au dernier moment il n’a pu se décider à sacrifier d’anciens compagnons d’armes, s’il a mieux aimé « abréger son mandat, » c’est un sentiment qui l’honore. De quoi se plaint on ? Il laisse la république fondée sous sa présidence, et quant à lui, il a eu le droit de dire dans sa lettre de démission qu’après avoir passé cinquante-trois années au service du pays, il a la consolation de penser qu’il n’a « jamais été guidé par d’autres sentimens que ceux du devoir et de l’honneur et par un dévouaient absolu à la patrie. » C’est là ce qu’il ne faut pas oublier au moment où s’éclipse cette présidence qui n’est plus que de l’histoire et qui doit rester de l’histoire.

Assurément puisque le conflit insoluble avait éclaté, puisque M. le maréchal de Mac-Mahon ne croyait pouvoir le dénouer que par sa démission, devançant ainsi le terme légal de son mandat, nul n’avait plus de titres pour recueillir la succession que le président de la chambre des députés, M. Jules Grévy. M. Dufaure avait d’avance décliné le fardeau ; M. Grévy restait le candidat le plus naturel, le plus universellement accepté, et de fait, par une coïncidence singulière, aujourd’hui comme au 24 mai 1873, cette transmission de l’autorité exécutive a été vivement enlevée. Hier encore à midi, M. le maréchal de Mac-Mahon était président de la république, à trois heures sa lettre de démission était lue au parlement. À sept heures du soir, le congrès des deux chambres s’était déjà réuni, il avait voté, et M. Jules Grévy était élu par 563 voix sur 670 suffrages exprimés. Il n’a point l’unanimité, il a du moins une majorité assez considérable pour garder une autorité morale incontestée. Le nouveau président, à soixante-cinq ans, entre pour la première fois aux affaires par la grande porte, sans avoir passé par d’autres fonctions ou par le ministère. Il a été toute sa vie au barreau ou dans les assemblées, en 1848 et depuis huit ans. Il porte au pouvoir une certaine rigidité, un vif sentiment du droit et de la légalité, un esprit mûri par l’expérience des révolutions, et, bien que