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démission de M. le maréchal de Mac-Mahon, devenue aujourd’hui une réalité au milieu d’une confusion croissante. Voilà nettement et crûment la situation, telle qu’elle a été faite, telle qu’elle apparaît. Comment tout cela a-t-il pu arriver ? Quelles vont être les conséquences de cette évolution précipitée, de ce déplacement soudain de pouvoir et de direction ? C’est la question qui s’élève maintenant devant nous, qui reste entière dans sa gravité et son intensité, qui n’est nullement résolue par la substitution d’un président à un autre président, de M. Jules Grévy à M. le maréchal de Mac-Mahon. Elle reste d’autant plus sérieuse, cette question des conséquences et des suites possibles de la crise nouvelle, qu’elle se complique d’étranges incohérences. Pour le moment, en un mot, ce qui se passe sous nos yeux a trop visiblement le caractère d’une expérience de plus après tant d’autres expériences dont le pays a été plus d’une fois le témoin attristé ou étonné et souvent aussi la victime.

C’est la troisième étape depuis que la république a reparu en France. C’est la troisième présidence que nous voyons naître sans que les deux premières aient pu arriver à leur terme. C’est encore une fois une situation qui finit et une situation qui commence. La situation qui finit, elle est tout entière dans cette démission que M. le maréchal de Mac-Mahon a envoyée hier aux chambres en la fondant sur l’impossibilité morale où il s’est trouvé de consentir aux modifications des grands commandemens militaires que lui demandait son ministère au nom de la majorité républicaine du parlement.

Voilà six ans bientôt que le M. maréchal de Mac-Mahon était élevé au pouvoir à la place de l’homme le plus illustre et le plus attachant de cette malheureuse période du siècle. Il avait été trop visiblement choisi pour servir des desseins ou des intérêts de partis. Son honneur est d’être resté lui-même avec son instinct de soldat au milieu de toutes les combinaisons dont il a été plus d’une fois entouré, de s’être inspiré avant tout dans les momens difficiles de sa loyauté et de son bon sens. M. le maréchal de Mac-Mahon avait sans doute ses habitudes, ses traditions, ses sympathies, ses préjugés ou ses inexpériences qui donnaient à sa manière d’exercer le pouvoir une originalité particulière, souvent embarrassante. Il a pu se tromper, et il s’est à coup sûr trompé gravement l’an dernier dans cette entreprise aussi dangereuse que stérile du 16 mai, dans cette campagne de triste mémoire ; mais s’il a pu se méprendre sur la nature de son autorité, il a eu le mérite de s’arrêter là où il a vu la limite distincte de la loi. L’homme qui avait commencé sous l’empire en protestant seul dans le sénat contre les mesures arbitraires de sûreté générale ne pouvait finir par des coups d’état. Ceux qui se hâtent de se réjouir du changement d’hier comme d’une délivrance oublient trop vite que dans des heures critiques le dernier président a eu le courage de résister à toutes les excitations, et qu’il y a eu des circonstances où il a peut-être