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ou plutôt enfiévrées par une émulation de tous les instans, rivalisent avec les jeunes gens d’acharnement à l’étude. Ce n’est pas à dire que la majorité des élèves ne puissent s’y plier. Elles étonnent leurs professeurs par des prodiges de travail que les plus robustes garçons n’égalent pas ; mais c’est là une sorte d’exaltation nerveuse, factice et à la longue malsaine. On paiera cher cet excès de travail, ce dédain des lois de la nature et cette espèce de point d’honneur que met la jeune fille américaine à nier la faiblesse de son sexe[1]. »

La question, qui est grave en soi et qui n’a encore rien d’urgent parmi nous, puisqu’on est bien loin d’être arrivé à l’excès, est au contraire en Amérique des plus pressantes, s’il faut en croire les importans renseignemens que M. Buisson a partout recueillis sur son passage. Il se produit en Amérique un appauvrissement redoutable de la race. Tous les hygiénistes, tous les médecins, toutes les sociétés savantes ont, dit M. Buisson, « poussé le cri d’alarme ; la constitution de la femme américaine semble minée d’un mal inconnu ; » c’est l’effet que produit sur les étrangers la visite des écoles communes. « Je n’ai jamais vu plus charmante réunion de jeunes filles, disait lady Amberley au docteur Clarke après une visite aux écoles de Boston, mais elles avaient toutes l’air malade. » M. Buisson signale aussi l’air de fatigue, la pâleur, l’aspect demi-maladif dans les écoles qu’il a visitées. Le fait est donc certain. Maintenant il est certain aussi qu’il a une cause plus profonde que celle de la coéducation, car cette cause n’agit en réalité que sur une faible partie de la population, tandis que le mal est général. Les uns l’attribuent au climat, les autres à l’alimentation. Quelle qu’elle soit, un système d’éducation où les filles sont surmenées, et surtout, comme le dit le docteur Clarke, « enfiévrées » par l’émulation avec les jeunes garçons, ne peut être que fatal à la santé. Il est vraisemblable en effet que cette émulation doit être plus ardente encore qu’entre garçons ou entre jeunes filles séparément. « Les sottes idées sentimentales » dont notre jeune miss de tout à l’heure faisait tellement fi pourraient bien se retrouver sous une autre forme, à l’insu même des intéressées, et donner à l’émulation de la classe plus d’entrain qu’il n’est nécessaire pour le développement paisible de l’intelligence et du corps.

Mais à ces argumens, si solides et si judicieux qu’ils paraissent, les Américains ont ou croient avoir une réponse péremptoire qui doit couper court à tout : c’est le droit de la femme. « Il ne s’agit pas de savoir, dit le chancelier de l’université de Syracuse, si nous aimons, nous autres hommes, qu’une femme traduise Homère ou

  1. Rapport, p. 134.