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chancelier des avances et des promesses ; mais il n’est pas homme à se payer de paroles, il ne tient qu’au solide, il va tout de suite au fait, et les concessions qu’il réclama dépassèrent, à ce qu’il semble, la mesure de ce qu’on pouvait accorder.

Le Vatican ne s’est point rebuté, il est patient parce qu’il est éternel. Il essaya de tirer parti du trouble et des anxiétés que causaient à l’Allemagne les progrès incessans du socialisme ; il s’empressa d’insinuer qu’il est l’allié, le défenseur naturel des gouvernemens contre toutes les doctrines perverses et dangereuses, qu’il connaît seul ces paroles magiques qui apaisent les tempêtes et conjurent le péril social. Il offrit son assistance, ses conseils et ses remèdes, dans l’espoir qu’on lui dirait : Seigneur, nous périssons, sauvez-nous. C’est le fond de la dernière encyclique, qui semble avoir été écrite à l’adresse et pour l’usage particulier de l’empereur Guillaume. Nous doutons qu’elle ait produit tout l’effet qu’on en attendait ; celui qui l’a rédigée a été tout à la fois très habile et très maladroit. Il revendique pour le saint-père la maîtrise des âmes et ne laisse aux empereurs et aux rois que les corps ; il a oublié que le roi de Prusse n’est pas seulement le chef de ses armées, qu’il est aussi muni d’un pouvoir spirituel, qu’il a sous sa garde l’église évangélique dont il est l’évêque, et que c’est l’offenser dans ses croyances les plus chères aussi bien que dans sa dignité de summus episcopus que de lui dire : « Luther a été le père du rationalisme, et les réformateurs du XVIe siècle ont répandu sur le monde cet esprit de vertige et de rébellion qui arme la main des sicaires. » En lisant l’encyclique, l’empereur Guillaume y a sûrement démêlé je ne sais quelle arrogance cachée que l’église mêle toujours à ses supplications et à ses larmes ; son orgueil a dû s’indigner des sommations altières dont elle accompagne ses offres de services. On raconte qu’un grand de Portugal causant avec un grand d’Espagne le traitait d’excellence ; le Castillan se contentait de l’appeler votre courtoisie ; c’est le titre des gens qui n’en ont pas. Le Portugais piqué traita à son tour l’Espagnol de courtoisie, l’autre lui donna alors de l’excellence. Le Portugais lui en témoigna son étonnement avec humeur. — C’est que tous les titres me sont égaux, répondit humblement le Castillan, pourvu qu’il n’y ait rien d’égal entre vous et moi. — L’église ne traite avec personne d’égal à égal ; elle se proclame la servante des puissances établies et elle leur parle en souveraine, elle s’agenouille pour leur donner des ordres et leur déclarer ses volontés. Nous ne savons ce qu’on a pensé à Berlin de ses exhortations, mais selon toute apparence le style en a déplu.

On n’avait rien conclu à Kissingen, on ne s’est pas découragé. Le cardinal Franchi était mort ; son successeur, le cardinal Nina, a continué de négocier avec la même bonne foi, mais peut-être avec moins d’illusions. Jusqu’aujourd’hui on n’a pu trouver les termes d’un accord satisfaisant pour les deux parties ; ce qui le prouve assez, c’est que le