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perdu tout flair pour les affaires politiques. — « Antonelli, ajoute-t-il, était sec et raide, son successeur était gras, remuant, et en sa qualité d’homme gras il avait l’esprit un peu léger. L’un ne faisait jamais de promesses ; ses assurances ne dépassaient pas le mi pare possibile, il formulait ainsi ses refus : Credo che non potrà farsi. L’autre promettait tout, même l’impossible. L’un ne connaissait de toutes les choses de la terre qu’une petite partie du Vatican, Macerata, Gaëte et Naples ; l’autre savait le monde et il en faisait gloire. Inépuisable en expédiens, ce qui le distinguait surtout était un talent marqué pour s’approprier les opinions d’autrui et pour les traduire dans la langue qui est particulière au Vatican. Avec cela, il possédait et méritait le renom de détestable patriote ; il estimait que le pape et le secrétaire d’état appartiennent à l’univers, et qu’ils se rendent coupables de trahison envers tout le genre humain quand ils s’accordent le luxe d’une patrie particulière. » M. de Bismarck comprit tout de suite que le cardinal Franchi était un homme avec qui on pouvait traiter, et c’est pourquoi, avant même de rencontrer à Kissingen Mgr Masella, il lui avait fait porter à Munich des paroles agréables et engageantes.

Pie IX avait laissé une succession spirituelle fort embarrassée et fort difficile à liquider ; son successeur a jugé que cette tâche n’était pas au-dessus de ses forces. Le pape Léon XIII paraît avoir du goût pour la politique, et ses intentions, qu’on commence à démêler, font honneur à la netteté de son esprit, à la sûreté de son jugement. Les Italiens s’étaient flattés qu’il renoncerait à revendiquer pour la papauté le pouvoir temporel et le magnifique jardin dont ils l’ont dépouillée ; ils espéraient qu’il vivrait en paix avec eux, qu’il réserverait tout son mauvais vouloir pour les empereurs schismatiques ou hérétiques qui attentent aux prérogatives et aux immunités spirituelles de l’église. C’est précisément le contraire qui est arrivé. Il se trouva que pour le pape Léon XIII la question du pouvoir temporel primait toutes les autres et qu’il était plus disposé à transiger avec le schisme et l’hérésie, avec Saint-Pétersbourg et Berlin, qu’avec le Quirinal. Son plan était de se ménager par d’habiles concessions un arrangement avec les principaux débiteurs de l’église, en leur faisant remise d’une partie de leur dette, et d’exclure de cet arrangement l’Italie, qui, désormais abandonnée à elle-même, privée d’alliés et d’avocats, porterait tout le poids de ses revendications et de ses anathèmes. Depuis bien des années, les Italiens sont les enfans gâtés du sort ; ils ont une Providence particulière, qui les secourt dans leurs détresses et les aide à se tirer d’affaire. Cette fois encore, elle a conjuré le péril qui les menaçait. Les choses sont plus fortes que les hommes, et les meilleures dispositions ne suffisent pas pour résoudre certaines difficultés. Jusqu’aujourd’hui, quelque bonne volonté qu’on y ait mis de part et d’autre, M. de Bismarck et le pape Léon XIII n’ont pas réussi à s’entendre. Il est bien difficile de faire