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tion récente de M. Camille Sée à la chambre des députés[1].

Nous accordons par conséquent qu’il y a beaucoup à faire pour l’éducation féminine et qu’il y a encore bien de la marge jusqu’à ce qu’elle soit complètement ce qu’elle doit être. Mais s’ensuit-il que l’éducation doive être la même pour les femmes et pour les hommes, qu’elles doivent apprendre les mêmes choses et jusqu’au même point ? Il y a ici certainement abus dans le système américain. Notre raison principale et pour nous décisive, c’est que notre régime d’éducation est déjà accablant pour les hommes ; à plus forte raison le serait-il pour les femmes. Les jeunes gens chez nous portent le poids de deux civilisations : la civilisation grecque et romaine et la civilisation moderne. La première nous vient de la tradition ; la seconde s’est introduite dans les écoles par l’usage et par la nécessité : d’une part le grec et le latin ; de l’autre le français, l’histoire, la géographie, les langues vivantes et les sciences. Personne n’y peut rien. Il ne peut être question ni de supprimer le premier système, ni de retenir à la porte le second. La seule solution possible, c’est de prolonger le temps des études, en faisant continuer l’enseignement secondaire jusque dans l’enseignement supérieur, et même ainsi le système sera encore bien chargé.

S’il en est ainsi, comment vouloir imposer aux jeunes filles une tâche déjà si lourde pour l’autre sexe ? On le peut en Amérique jusqu’à un certain point, parce que l’enseignement classique, même pour les hommes, n’y est pas poussé bien loin, et dès lors ce sont eux qui souffrent de l’égalité ; mais même dans ces termes, peut-on méconnaître à ce point, je ne dis point l’inégalité, mais la différence d’organisation entre les deux sexes ? Peut-on nier que l’un des deux soit plus délicat que l’autre et qu’il demande plus de ménagemens ? Il ne s’agit plus d’objections banales, tirées de la supériorité d’un sexe sur l’autre : il s’agit d’objections positives, fondées sur les faits, et qui cette fois viennent de l’Amérique elle-même. C’est un médecin américain, le docteur Clark, cité par M. Buisson, qui déplore comme fatal à la santé des femmes le système des écoles communes. On exige des filles une suite ininterrompue d’efforts en contradiction avec les lois de l’organisation. « S’il est un âge, dit le savant médecin, où il est dangereux de faire violence au tempérament féminin, c’est précisément l’âge auquel s’adressent les écoles supérieures de filles. C’est au moment où leur délicate constitution a besoin de tous les ménagemens et de tous les soins d’une mère qu’on veut que ces jeunes filles, sans cesse tenues en haleine

  1. Ce projet de loi, qui consiste à demander la fondation par l’état d’un enseignement secondaire des filles, a été présenté à l’Académie des sciences morales et politiques par M. Jules Simon, avec les développemens les plus intéressans. Nous adhérons entièrement à ce projet qui peut seul donner à l’éducation des femmes l’unité de direction et de méthode qui lui a manqué jusqu’ici.