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sont au-dessous d’eux. Le luxe dévore les capitaux dont l’accumulation ferait hausser le salaire. Il exalte la vanité ; il dérange les fortunes, il irrite les convoitises et provoque les haines de ceux à qui manque souvent le nécessaire. La simplicité de la vie, l’application au travail, la haute culture morale et intellectuelle, tels sont les exemples qu’il faut offrir aux yeux du peuple. Ceux qui disposent du produit net d’un pays doivent employer leur superflu, non à raffiner leurs plaisirs ou à poursuivre les satisfactions de l’orgueil, mais à des œuvres d’utilité générale et au bien de leurs semblables. Ce qu’ont fait MM. Dollfus, à Mulhouse, et M. Siegfried, au Havre, nous montre la voie dans laquelle il faut entrer. Je me permettrai de citer un autre exemple, bien connu en Belgique, et qui mérite de l’être également à l’étranger. Il fait voir tout le bien que peut accomplir l’initiative d’un seul homme. En 1866, M. Laurent, professeur de droit à l’université de Gand, eut l’idée d’introduire dans les écoles primaires de cette ville l’épargne pour les enfans. Il alla d’école en école expliquer aux maîtres et aux élèves les avantages économiques et surtout les bienfaits moraux de l’épargne. Entraînés par cette parole sympathique et convaincue, les enfans, sou par sou, remettaient leurs petites économies au maître, qui prenait pour eux un livret de la caisse d’épargne, quand ils avaient ainsi réuni un franc. Cinq ans après, en 1871, sur dix mille six cent soixante et onze élèves le nombre des livrets était de huit mille, et depuis lors la proportion s’est encore accrue.

Ceci peut être le germe d’une transformation dans la situation sociale. Que l’ouvrier arrive à posséder un capital et aussitôt il est converti aux idées d’ordre ; il devient l’ennemi de tout bouleversement qui lui enlèverait des économies péniblement acquises. Mais comment atteindre ce résultat ? En lui enseignant l’épargne dès l’enfance, afin qu’il en prenne l’habitude. Plus tard, quand le pli de la dissipation est pris, les meilleurs conseils restent stériles. Le capital créé par l’ouvrier est le seul qu’il sache conserver. C’est en vain qu’on ferait des avances aux ouvriers, comme le demandait Lassalle ou comme l’a fait l’empereur d’Allemagne sous l’inspiration de M. de Bismarck ; elles seraient bientôt dévorées, parce que l’aptitude d’en faire un bon emploi manquerait. Les sociétés ouvrières, à qui en 1848 le gouvernement avait fait des avances, ne tardèrent pas à succomber. Celles-là seules se maintiennent qui, comme les pionniers de Rochdale, ont formé leur fonds à force d’ordre et d’économie. L’épargne scolaire, ainsi qu’on peut le voir dans les rapports de M. de Malarcè, a été introduite en différens pays, notamment en France, dans beaucoup de villes, et si elle peut se généraliser, les bienfaits qui en résulteront sont incalculables. Ce qui