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faits pour améliorer le sort de l’ouvrier sous le rapport matériel, intellectuel, moral et religieux. Il adjure les gens aisés de tendre la main aux prolétaires, d’appuyer toutes les lois qui leur sont favorables et de contribuer à augmenter leur bien-être en leur donnant de bons salaires et en réduisant autant que possible les heures de travail. Tous doivent prêter leur concours à la mise en œuvre des nouveaux corps de métiers qui sont destinés à remplacer ce que les anciennes corporations avaient de bon. Il faut porter les ouvriers à conserver le point d’honneur, à fuir les plaisirs grossiers et à pratiquer les sentimens chrétiens dans la vie de famille.

Les articles de ce programme sont, on ne peut le nier, inspirés par l’amour de l’humanité. Mais serait-il possible de les appliquer parmi les complications de l’industrie moderne sans la désorganiser ? Le point principal est le rétablissement sous un autre nom des corporations. Mais alors surgit aussitôt la difficulté que nous avons déjà signalée. Ces corporations seront-elles fermées et jouiront-elles d’un monopole ? Ainsi les drapiers auront-ils seuls le droit de fabriquer du drap ? Si vous accordez ce privilège, le maître ne pourra plus recruter son personnel où il le veut. Que devient alors la liberté de l’industrie ? Comment concilier ces monopoles avec les progrès incessans du mode de fabrication et avec le nombre si variable des ouvriers employés ? Si au contraire la loi maintient la liberté, ces corps de métiers sont tout simplement les trades unions de l’Angleterre, qui sont certainement une puissante machine de guerre pour organiser la coalition et la grève, mais qui n’offrent pas les élémens d’une nouvelle organisation du travail. Toutefois ce programme contient une observation très juste, c’est que toutes les mesures de protection en faveur de la classe ouvrière devraient être votées à la suite d’une entente entre les différens états. Ainsi l’Angleterre et la France et la plupart des états européens ont interdit le travail des enfans dans les manufactures, tandis que certains pays refusent encore de le faire sous prétexte de respecter la liberté. N’est-il pas odieux que les industriels anglais ou français soient victimes de l’équité de la loi de leur pays, et que d’autres profitent de l’inhumanité de la législation qui les gouverne, pour vendre moins cher qu’eux en employant les bras de jeunes enfans voués ainsi à des infirmités précoces ? Les états européens, en raison de la facilité des communications, ne font plus en réalité qu’une seule nation. Il faut donc que par des conventions internationales les mêmes lois les régissent, sinon l’action indépendante et non concertée d’un pays jette le trouble dans tous les autres. La solidarité économique devenant chaque jour plus intime, il faut que le droit international s’étende chaque jour à plus d’objets.