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Disons cependant qu’au milieu de ce concert presque unanime d’adhésions, y compris celles des élèves, il s’élève quelques notes discordantes, quelques protestations rares, qui ont au moins l’avantage de nous rappeler à la réalité, et de ramener à sa juste mesure ce qui pourrait nous paraître un idéal trop au-dessus de la nature humaine. Un professeur de l’université de Missouri, dans un mémoire sur la coéducation dans les universités (1874), jette quelques ombres sur le brillant tableau que nous venons de décrire. Si les jeunes filles adoucissent les mœurs des garçons, il paraît qu’il arrive quelquefois que les jeunes gens communiquent aux filles quelque chose de leurs manières pétulantes. On en voit qui enferment leurs professeurs à clé, qui mettent des pétards dans un orgue, de manière que lorsqu’on vient à jouer, tout éclate ; on voit des jeunes filles jouant aux cartes en classe ; ailleurs elles répondent à des boules de neige à coups de bûches. Mais voici qui est plus grave : une enfant de trois ans, fille du directeur, dit à sa mère en voyant une image qui représentait deux amans : « C’est comme après la classe. » Dans un autre collège, à des réunions de jeunes gens des deux sexes, on voit un jeune garçon lire un travail sur la question des corsets, et ces réunions ayant été interdites, les jeunes gens crièrent à la tyrannie, et encore à l’heure qu’il est ils se croient martyrs. Ces faits ne sont pas suffisans sans doute pour contre-balancer la masse des témoignages en sens inverse que nous avons résumés ; ils prouvent cependant que tout n’est pas préjugé dans les préventions des nations européennes contre le système de la coéducation.

Il est probable qu’une des causes qui rendent ce système praticable en Amérique et qui l’ont fait réussir, c’est l’énergie de la protection que la loi accorde à la femme en cas de séduction, non pas sans doute que les enfans et les jeunes gens en soient déjà à calculer d’avance les effets de la loi ; mais il est certain que ce régime énergique a dû propager dans la société américaine un respect pour la femme, fondé d’abord sur l’intérêt bien entendu et qui a fini par se traduire dans les mœurs, et ce système lui-même, que nous n’avons pas à apprécier, a dû probablement son origine à la situation difficile où se trouvaient les jeunes filles dans des sociétés de colons, lorsqu’il n’existait encore aucune des conditions de l’organisation régulière des sociétés modernes. Tout s’explique en Amérique par les habitudes de la vie des colons, habitudes qui, comme il arrive souvent, ont survécu au temps où elles avaient été nécessaires. Il est certain qu’une colonie lancée de deux ou trois cents lieues en avant de toute civilisation doit avoir des mœurs bien différentes de celles d’une vieille société. L’indépendance individuelle doit y être très grande, la rencontre et la vie