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rables, offrant plus de chances de bonheur dans le mariage. »

Ce qui paraîtra plus étrange encore à nos mœurs françaises, c’est qu’au lieu de se contenter de l’opinion des maîtres et des directeurs, on a voulu, dans l’enquête dont il s’agit, avoir l’avis des élèves eux-mêmes, et des plus intéressés, à savoir des jeunes filles. On a donc donné comme sujet de composition dans un grand nombre d’écoles normales la question de la coéducation des sexes. M. Buisson nous donne le texte d’une de ces compositions, l’un des témoignages les plus curieux et les plus importans en pareille question. Voici comment s’exprime la jeune fille qui en est l’auteur :


« On discute dans tous les meetings scolaires de ce pays si les garçons et les filles doivent être instruits en commun. C’est là la forme américaine d’une question qui se retrouve partout, et qui prend diverses expressions suivant les temps et les pays. Si nous la traitions aujourd’hui dans quelque ville d’Orient, voici probablement la forme qu’elle prendrait : Les femmes peuvent-elles se promener dans les rues sans voiles, peuvent-elles s’asseoir à table avec leurs maris sans mettre en péril la morale publique ? Si nous étions à Paris, la question se poserait ainsi : Les jeunes filles honnêtes peuvent-elles se promener seules dans les rues[1] ? En Palestine, on dirait : Les femmes sont-elles faites pour de plus nobles emplois que celui d’une bête de somme ? À Philadelphie, nous nous demandons si les jeunes filles peuvent être élevées dans le même établissement, si les femmes peuvent développer leurs facultés intellectuelles comme les hommes.

« Le principal argument des adversaires de l’instruction mixte consiste à dire que lorsque les jeunes gens et les jeunes filles sont assemblés dans le même local, leur esprit est absorbé par des préoccupations étrangères à l’étude. Nous nions ce fait. Voyez ce qui se passe dans nos écoles normales. Il est évident que dans une école de trois ou quatre cents élèves des deux sexes, quelques-uns se laissent distraire par des préoccupations de ce genre. Mais le mélange des sexes paraît plutôt agir comme encouragement au travail. Il est peu d’élèves dont l’amour-propre ne soit excité par là. On ne saurait nier que l’accomplissement en commun des devoirs de la vie d’étudiant ne serve de frein aux jeunes gens et aux jeunes filles et ne les fasse marcher d’un pas plus ferme dans la voie de la morale. Au lieu de cette éducation de famille, si l’on sépare les jeunes gens des deux sexes, on ne fait que remplir leur esprit de sottes idées sentimentales qui ont souvent une influence fâcheuse sur le reste de leur vie. »

  1. Ici notre jeune miss se trompe : personne ne croit à Paris qu’une jeune fille, seule dans les rues, n’est pas honnête. L’habitude d’être accompagnée n’est qu’une simple convenance sociale et mondaine, et nullement une garantie d’honnêteté. C’est une habitude qui prouve qu’on est du monde, et rien autre chose.