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étaient ses complices : « La France entière ; vous-même, monsieur, si j’avais réussi, » répondit-il. Après le réquisitoire du capitaine rapporteur, il se leva et dit ces simples paroles : « Un homme qui s’est constitué le défenseur des droits de son pays n’a pas besoin de plaidoyer ; il triomphe ou il meurt. » Et il se rassit. On cite encore de lui plusieurs mots qu’il aurait dits en allant à la mort. Rue de Grenelle, rencontrant des étudians qui le regardaient passer dans son fiacre, entre deux gendarmes, il leur lança par la portière cette phrase : « Jeunes gens, souvenez-vous du 23 octobre. » — « Citoyens, s’écria-t-il encore devant l’École militaire : je tombe, mais je ne suis pas le dernier des Romains. »

En face du peloton d’exécution, Malet eut la même attitude, un peu théâtrale, un peu forcée, mais noble après tout. Il aurait pu mourir plus simplement, avec moins d’emphase, et l’on doit lui reprocher d’avoir un peu trop posé pour la postérité. Il eut du moins le mérite de se rappeler au dernier moment qu’il avait porté le nom de Léonidas et de tomber en Lacédémonien. De toutes les circonstances atténuantes que ses avocats ont fait valoir, c’est encore la plus admissible, et certes on eût été mieux inspiré, dans l’intérêt de sa mémoire, en n’en plaidant pas d’autres.

On aurait aussi bien dû se dispenser de faire du général Guidal un héros, quand il est prouvé que ce malheureux, « qui ne jouissait d’aucune considération et qui était enclin à l’ivrognerie, » ne sut pas regarder la mort en face. « La dignité du maintien du général Malet en allant au supplice, et en général la contenance de ses compagnons d’infortune, a écrit un ancien directeur général de la police, le sieur d’Aubignosc, fit ressortir défavorablement la pusillanimité du général Guidal, qui s’exhala sans cesse en pleurs, en cris et en vociférations. » Le témoignage de ce haut fonctionnaire, qui eut entre les mains tout le dossier de l’affaire Malet, méritait peut-être qu’on s’y arrêtât. On l’a négligé, comme on a négligé tous ceux qui se rapportent au véritable but de la conspiration. C’est ainsi qu’on a pu représenter le général Malet comme une victime de la cause républicaine et glorifier son entreprise comme un de ces actes sublimes que « la loi condamne, mais que la morale éternelle absout. » Il ne semblera pas superflu qu’on discute ici la valeur de cette thèse : la suite de ce récit, les documens qu’on y trouvera, montreront qu’elle est au moins contestable.


III

La première et la plus sûre règle de critique historique est de s’attacher d’abord aux sources. On n’y trouve pas toujours la vérité ; mais on risque moins de s’égarer par ce chemin que par toute