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objection. Pendant qu’il s’habille, Boutreux, ceint de son écharpe, lui donne lecture de la lettre de service préparée pour lui. Cette lettre, signée Malet, portait en substance que le général Lamotte avait reçu l’ordre de se transporter à la caserne Popincourt, accompagné d’un commissaire de police, pour donner à la 10e cohorte lecture du sénatus-consulte « annonçant la mort de l’empereur et l’abolition du gouvernement impérial ; » que, cette lecture terminée, le colonel Soulier devrait faire prendre les armes à ses hommes, se rendre place de Grève, occuper l’Hôtel de Ville, et préparer, de concert avec le préfet de la Seine, des salles convenables, pour le gouvernement provisoire et pour l’état-major du général Malet.

Il ne vint pas un seul instant à l’esprit du colonel Soulier la pensée que cette lettre, qui lui annonçait d’ailleurs sa nomination de général et la mise à sa disposition d’une somme de cent mille francs pour sa troupe et pour lui-même, pût être l’œuvre d’un faussaire. L’adjudant-major de service, un Normand pourtant, n’y flaira pas davantage le moindre piège. C’était, comme son colonel, un vieux militaire sans grand jugement et sans initiative, mais d’une fidélité à toute épreuve. La nouvelle de la mort de l’empereur lui produisit l’effet d’un coup de massue. Cependant il ne fit aucune difficulté d’exécuter les ordres de son supérieur et rassembla sans dire mot ses hommes en armes dans la cour de la caserne. Malet ou plutôt le général Lamotte descendit aussitôt et se présenta devant leur front. Puis Boutreux, toujours revêtu de ses insignes, leur donna lecture du sénatus-consulte, de l’ordre du jour et de la proclamation. Pas un cri, pas un mot, rien qu’une grande stupeur. Ce que voyant, le général fit, sans plus tarder, former les rangs, prit la tête de la colonne et sortit, laissant au colonel Soulier le nombre d’hommes strictement nécessaire pour occuper la place de Grève et l’Hôtel de Ville.

Il était six heures et demie lorsque Malet se présenta, suivi de sa petite troupe, devant la prison de La Force, où se trouvaient détenus les généraux Guidal et Lahorie. L’élargissement de ces deux officiers ne souleva, de la part du concierge, aucune objection. Sur l’ordre qui lui en fut donné d’un ton d’autorité, ce malheureux courut immédiatement délivrer ses prisonniers. Cela prit toutefois quelques minutes, et Malet s’impatientait déjà quand ils parurent. Il les embrassa avec effusion ; puis, sans leur laisser le temps de se reconnaître, il leur remit à chacun le pli cacheté contenant les instructions qui les concernaient, et leur expliqua brièvement ce qui se passait et ce qu’il attendait d’eux. Pas plus que le colonel Soulier, pas plus que l’adjudant-major Piquerel et le concierge de La Force, Guidal et Lahorie ne conçurent le moindre soupçon. Ils partirent, suivis d’une escorte que leur donna Malet, pleins