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sédition dans la garde nationale, à plus forte raison dans l’armée, n’avait chance de réussir. Il s’était pénétré dans sa prison de ces deux idées. Pendant quatre ans, il en poursuivit l’application à travers toute sorte de projets, plus chimériques les uns que les autres. A la fin, après bien des tâtonnemens, la lumière se fit dans ce cerveau troublé par les fumées de l’orgueil et de la haine ; un plan d’une extrême audace et d’une incroyable simplicité tout à la fois le traversa.

Le point de départ de ce plan, c’était la fausse nouvelle de la mort de l’empereur. Mais il ne suffisait pas d’en répandre le bruit ; il fallait que cette mort fût officiellement constatée par un acte émané des pouvoirs publics et dont on ne pût révoquer en doute l’authenticité. D’autre part, il importait qu’il y eût aussi peu de monde que possible dans le secret du complot ; c’était le seul moyen d’éviter, soit que la police fût avertie, soit qu’au moment d’agir le cœur manquât à quelque agent.

Ces prémisses étant posées, Malet imagina d’associer à son entreprise la plus haute autorité qui fût dans l’état. Il rédigea dans ce dessein un faux procès-verbal d’une fausse séance extraordinaire du sénat, convoqué pour entendre la lecture d’un faux message qui lui annonçait la fausse mort de Napoléon, et pour aviser, séance tenante, aux moyens de sauver la patrie. À ce procès-verbal était joint un faux sénatus-consulte abolissant le gouvernement impérial, mettant hors la loi « ceux des grands dignitaires civils et militaires qui voudraient user de leurs pouvoirs ou de leurs titres pour entraver la régénération publique, » et formant un gouvernement provisoire composé des quinze membres dont les noms suivent : MM. le général Moreau, président ; Carnot, vice-président ; général Augereau ; Bigonnet, ex-législateur ; Destutt-Tracy, sénateur ; Florent Guyot, ex-législateur ; Frochot, préfet du département de la Seine ; Jacquemont, ex-tribun ; Lambrecht, sénateur ; Montmorency (Mathieu), Malet, Noailles (Alexis), Truguet, vice-amiral, Volney et Garat, sénateurs. Ce gouvernement était chargé, 1° de veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l’état ; 2° de traiter immédiatement de la paix avec les puissances belligérantes ; 3° de faire cesser les malheurs de l’Espagne ; 4° de rendre à leur indépendance les peuples de Hollande et d’Italie. Il proposerait le plus tôt possible un projet de constitution pour être soumis à l’acceptation du peuple français. Les ministres étaient relevés de leurs fonctions et tenus de remettre leurs portefeuilles à leurs secrétaires généraux. Une amnistie générale était accordée pour tous délits politiques et militaires, même pour désertion à l’étranger. Un article spécial aux émigrés les autorisait à se présenter devant la première municipalité frontière pour y faire leur déclaration et