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le soin d’organiser un corps de volontaires à la tête desquels il se distingua, dit-on, dans plusieurs rencontres. Comme prix de ces services, il reçut le commandement de la place de Besançon, qu’il quitta seulement vers la fin de la période directoriale, en 1799, avec le grade de général de brigade, pour se rendre à l’armée d’Italie, où il servit sous les ordres de Championnet.

C’est de cette époque que datent les premiers rapports de Malet avec le futur empereur des Français. Dans une circonstance qu’on ne précise pas, le nouveau général aurait eu l’imprudence de « rectifier une erreur grossière, » commise en face de l’ennemi par Bonaparte. Il n’en aurait pas fallu davantage pour le perdre. « L’amour-propre du tyran pardonnait difficilement à ceux qui avaient eu le malheur de rencontrer sa faiblesse, » dit l’écrivain auquel nous empruntons cette anecdote, l’abbé Lafon. Le fait aurait peut-être besoin d’être appuyé de quelques preuves ; pour si grand tacticien qu’ait été le général Malet, on a peine à croire que le vainqueur de Marengo ait jamais vu en lui un rival. Il n’est pas d’ailleurs besoin de recourir à de telles suppositions pour s’expliquer l’animosité de Napoléon contre Malet. En l’an IX, s’il faut en croire le même abbé Lafon, dont le témoignage se trouve cette fois corroboré par celui de Desmarest, l’ancien chef de division de la police impériale, Malet avait déjà conçu le projet de s’emparer de la personne de Bonaparte, lorsqu’il viendrait à Dijon prendre le commandement de l’armée d’Italie. Il se serait même assuré de la complicité du général Brune, qui devait, au cas où le coup eût réussi, marcher immédiatement sur Paris. « Malheureusement, dit l’abbé, des circonstances imprévues firent manquer ce projet, qui aurait épargné tant de sang et de larmes à la France. »

Bonaparte eut-il connaissance de ce premier complot ? On peut le supposer, car Brune reçut l’ordre de partir pour l’Italie dans les vingt-quatre heures, et Malet fut, dans le même temps, envoyé comme commandant du département à Bordeaux. C’était une disgrâce : le premier consul y mit le comble en lui conférant un peu plus tard le titre de commandant de la Légion d’honneur. Ce dut être un bien rude coup pour cette âme stoïque, et l’on comprend que Malet ait voué dès ce jour une haine immortelle à Napoléon.

Il existait alors, au sein de l’armée française, une société secrète où se donnaient rendez-vous toutes les ambitions déçues, tous les esprits chagrins et moroses. Elle avait eu pour fondateurs quelques jeunes officiers, qui ne s’étaient pas trouvés payés, suivant leurs mérites, des services qu’ils pensaient avoir rendus, et elle avait pris le nom de société des Philadelphes. Au début, elle ne comptait que quelques membres ; au 18 brumaire, elle se grossit de toutes les déceptions causées par le coup d’état. Le but de cette société,