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écrivain qui avait déjà eu le courage de réhabiliter Robespierre, M. Ernest Hamel, a prétendu « sauver de l’éternel oubli » non-seulement le général Malet, mais encore ses complices, Lahorie, Guidal, « ces grands citoyens, qui ont offert leur sang à la régénération de la patrie et qui étaient restés avec Caton du parti des vaincus. » — C’est à merveille, et l’on n’a pas l’intention de s’élever ici contre le droit qu’a chacun de préférer Brutus ou Caton à César. On voudrait seulement rechercher jusqu’à quel point ces « grands citoyens » d’invention toute récente méritent les honneurs du Panthéon. L’école jacobine est un peu sujette à caution sous ce rapport, et ses exhumations n’ont pas toujours été heureuses. On a consulté pour cette étude critique tous les documens qui existent aux archives, et l’on a pu se convaincre que plusieurs de ces documens, principalement ceux qui sont de nature à jeter un jour fâcheux sur la mémoire du général Malet et de ses complices, avaient échappé aux investigations de leurs historiens. Les tirer de l’ombre discrète où ils dorment, c’est risquer, il est vrai, de détruire une légende en voie de formation ; mais c’est contribuer, peut-être, à fixer un point d’histoire, et cela seul importe.


I

Claude-François de Malet naquit à Dôle, le 28 juin 1754, de parens appartenant l’un et l’autre à la vieille noblesse franc-comtoise. Tout jeune il prit la carrière des armes ; il était capitaine aux mousquetaires de sa majesté lorsque ce régiment fut licencié pour raison d’économie. Il rentra dans ses foyers, où la révolution le surprit sans l’effrayer. Comme beaucoup de gentilshommes de ce temps, il s’était épris des idées nouvelles et de la philosophie du XVIIe siècle. Il croyait à l’affranchissement des peuples et à la régénération de la société. Aussi, bien loin d’émigrer comme son frère, un des chefs du parti royaliste dans le Jura, il ne tarda pas à se lancer, à la suite de Lafayette, dans le mouvement qui devait bientôt emporter la royauté. Quelle fut la part de la conviction dans cette rupture éclatante de notre ex-capitaine des mousquetaires avec sa famille et son parti, quelle fut celle de l’ambition ? On ne saurait exactement le dire. Il y eut probablement de l’une et de l’autre, ou plutôt l’une et l’autre en se combinant triomphèrent des scrupules de Malet. En tout cas, il n’eut pas à se repentir de s’être rangé du côté du plus fort. Dès la formation des gardes nationales, ses concitoyens l’appelèrent à commander le bataillon de Dôle. Il eut encore l’honneur de partir à la tête de la députation franc-comtoise pour représenter à la fête de la fédération le département du Jura. Plus tard, quand nos frontières furent menacées, la république lui confia