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de règne, vinrent bientôt ajouter à la stupeur dont Sparte était frappée de nouveaux motifs de découragement. Tout espoir de subside étranger disparaissait, au moment où les côtes de la Laconie allaient avoir à subir les doubles incursions qui partiraient à la fois de Cythère et de Pylos. Désirée par les Athéniens, sérieusement proposée trois ans auparavant par les Spartiates, la paix était dans l’air. Sparte l’eût peut-être déjà conclue aux conditions mêmes exigées par Cléon, s’il lui eût été permis de traiter avant d’avoir, par quelque succès, relevé le prestige de ses armes. Sans la prise de Kars, la Russie, en 1856, se serait moins aisément soumise.

Où chercher ce triomphe qui devait sauver l’amour-propre et couvrir jusqu’à un certain point la lassitude morale du peuple de Lycurgue ? Ravager l’Attique n’était plus un succès ; on l’avait si souvent, impunément et sans fruit, dévastée ! Il fallait quelque chose de plus éclatant ; la prise d’une ville, l’occupation d’une province, un fait d’armes qui portât un nom et qui conférât au moins le droit d’élever un trophée. Brasidas avait survécu à ses blessures ; Sparte l’envoya en Thrace. Il existait sur ce littoral lointain des mécontentemens qu’on pouvait fomenter, des populations belliqueuses dont il serait facile de s’assurer le concours. Brasidas apparut tout à coup à l’embouchure du Strymon. Thucydide était alors à Thasos avec sept vaisseaux. Avait-il mission de veiller sur la côte subitement envahie ? L’illustre historien parait avoir voulu garder le silence sur ce point. Ce qui est incontestable, c’est qu’il ne se trouvait qu’à une demi-journée de navigation d’Amphipolis, et qu’Amphipolis tomba avant qu’il l’eût secourue. Le peuple d’Athènes punit ce malheur comme une négligence ; Thucydide fut banni. Nous devons au long exil qu’on lui infligea, exil plus rigoureux peut-être qu’immérité, un immortel ouvrage ; lui devons-nous le récit d’un témoin toujours impartial ? Les lettres de Junius auraient eu moins de fiel si leur auteur eût mieux fait la guerre en Hanovre.

Les Athéniens avaient fini par croire sérieusement à la valeur militaire de Cléon. Ce fut Cléon que, trois ans après les combats de Pylos ils voulurent opposer encore à Brasidas. Le démagogue partit du Pirée à la tête de douze cents hoplites athéniens, de trois cents cavaliers, d’un grand nombre de soldats auxiliaires, le tout embarqué à bord de trente vaisseaux. Il emmena même Socrate, qui paraît avoir été en cette occasion plus vaillant soldat que ne le fut Horace à la journée de Philippes. Cléon n’était pas d’avis de brusquer les choses ; il fut entraîné par l’impatience de ses soldats. Brasidas remporta sur l’orateur d’Athènes une victoire complète, et, ajoutons-le, une victoire facile. Le bouillant soldat n’en payai pas moins ce triomphe de sa vie. Cléon ne survécut pas davantage à sa