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charge, les autres font pleuvoir sur la bande héroïque, prise cette fois à revers, les traits et les javelots dont aucun parapet ne la défend plus. Qu’importe aux Spartiates ? Tournés comme leurs ancêtres l’ont été jadis au Thermopyles, ils tomberont comme eux, et Sparte apprendra qu’ils sont tous là « gisant pour avoir obéi à ses ordres. »

Ce n’est point le compte de Cléon ; il ne faut pas que la mort vienne lui ravir ses gages. Cléon intervient ; Cléon veut sauver les précieux otages de leur désespoir. Il fait cesser le combat, retirer ses troupes hors de la portée du trait, et, par ses ordres, un héraut s’avance. Epitadas avait succombé ; Hippagétas, à qui était alors échu le commandement, respirait encore, mais il râlait étendu au milieu d’un monceau de cadavres ; Styphon, le troisième général en chef de la désastreuse journée, accepta la suspension d’armes que lui faisait proposer Cléon. Pour des gens dont le gosier est brûlé par la soif, dont les entrailles crient sous les tortures de la faim, une suspension d’armes est toujours le prélude d’une capitulation. Les champs de Baylen, — le général Prim me l’a bien des fois répété, — n’auraient point vu la première humiliation du drapeau d’Austerlitz et d’Iéna, si nos soldats avaient eu un ruisseau ou un puits sous humain. L’armée du général Dupont ne capitula pas devant Castaños ; elle capitula devant le soleil de l’Espagne. Les Spartiates, vaincus, eux aussi, par la soif, se résignèrent à livrer leurs armes et se rendirent à discrétion. Deux cent quatre-vingt-douze hoplites furent dirigés à l’instant sur le Pirée ; le reste, plus heureux, était mort. Cléon tenait parole : vingt jours après son départ de l’Attique, les assiégés de Sphactérie faisaient leur entrée dans Athènes. Le peuple les vit passer avec étonnement ; il avait cru longtemps que les Spartiates étaient des êtres à part, des guerriers au-dessus des faiblesses humaines, qu’on pouvait tuer, qu’on ne prenait pas vivans. Ils défilaient cependant sous ses yeux, ces soldats invincibles ; ils étaient là, captifs, chargés de fers, la tête basse, dévorant en silence leur humiliation. Les Athéniens se sentaient grandis de toutes les folles terreurs qu’ils éprouvaient autrefois ; Cléon leur mettait le pied sur le cou de l’ennemi auquel ils n’avaient jamais osé faire face. C’était un immense service rendu à la cause d’Athènes, et ce déclamateur, — avouons-le, car il faut être juste envers tous, — le jour où, au risque de tout perdre, il osa conseiller de congédier les ambassadeurs lacédémoniens, se montra un grand politique.

Sparte tenait encore à ravoir ses enfans ; elle y tenait moins pourtant depuis qu’elle voyait en eux des enfans déchus. La prise de Cythère par Nicias, la mort d’Artaxerce après quarante-sept ans