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d’avance ; inutile, par conséquent, de les ménager. Au premier signe de gros temps, les forceurs de blocus partaient de tous les points du Péloponèse. La croisière athénienne était rentrée, la mer devenait libre ; il ne restait plus que la tempête à craindre. On bravait avec joie ce péril attendu avec impatience. Le vaisseau ne ralentissait pas sa vitesse quand il approchait de la côte ; il y courait tout droit, sans regarder aux brisans ou aux roches, sans perdre son temps à chercher un endroit propice à débarquer. La lame furieuse jetait le vaisseau où il lui plaisait ; les hommes, les provisions étaient tant bien que mal recueillis sur la plage par les hoplites. Il se noyait des ilotes, il se perdait des vivres ; une certaine abondance ne cessait pas, en somme, de régner dans l’île. La plus grande souffrance des Spartiates venait de la privation d’eau. Ils ne trouvaient sur Sphactérie que de l’eau saumâtre. Qu’on s’expose à être bloqué par une flotte ou par des guérillas, il faut toujours, avant d’asseoir son camp, se demander si on ne l’assied pas sur le terrain de la soif et de la famine. Le général espagnol Baradas n’eût pas capitulé en 1827 au Mexique, s’il eût rencontré sur la langue de sable de Tampico ce qui manquait aux Spartiates de Sphactérie.

Les matelots athéniens ne souffraient guère moins que la garnison qu’ils tenaient bloquée. Il n’existait qu’une source sur tout le rivage, et cette source, comprise dans l’enceinte que Démosthène avait tracée, suffisait à peine aux besoins des défenseurs mêmes de Pylos. La marine en était réduite à creuser des puits sur la plage. On sait quelle sorte d’eau se recueille ainsi ; nous en avons fait l’épreuve sur le rivage d’Old-Fort en Crimée. Les soldats la buvaient, les chevaux s’en détournaient avec répugnance. La flotte athénienne souffrait donc, et le temps s’écoulait. Que serait-ce quand viendrait l’hiver ? Les Lacédémoniens étaient maîtres de tout le pourtour de la baie ; les vaisseaux d’Athènes pouvaient à la rigueur s’entasser dans le petit port de Pylos ; mais qui se chargerait de leur apporter des vivres ? qui continuerait d’intercepter, de gêner du moins les communications de l’île avec le continent ? L’approche de l’hiver c’était de fait la levée du blocus. Les hoplites de Sparte allaient être ravitaillés. Que dis-je ravitaillés ? Quand il leur conviendrait, ils seraient rendus à leur patrie ; la plus magnifique occasion qui se fût jamais présentée de traiter de la paix à des conditions avantageuses s’en allait ainsi en fumée, grâce aux exigences déraisonnables de Cléon. Le peuple d’Athènes s’échappait déjà en murmures ; ce n’était pas un peuple patient, et le sort qu’il faisait à ses conseillers ne semble vraiment pas, à la distance où nous sommes, un sort qui se pût appeler digne d’envie. Il ne s’en rencontrait pas moins une foule de gens empressés à vouloir gouverner ce vieillard irritable et prêts à lui débiter en toute circonstance et à tout propos leurs