moment ressemble à une fourmilière. Animés par la vue de l’ennemi, par la pensée présente à leurs yeux du péril, les soldats entrent tout armés dans la mer. On les voit saisir les trières des deux mains, les tirer à eux, s’atteler à cette rude besogne en longues files, pendant que les Athéniens font, de leur côté, force de rames. On se dispute, on s’arrache les vaisseaux, comme aux plaines de Troie on s’arracha jadis le cadavre de Patrocle ou celui d’Hector. Le tumulte est affreux, la mer se teint de sang et bouillonne à la fois sous les rames qui la battent à coups précipités et sous les traits qui obscurcissent l’air. Les injures, les cris, les menaces qui s’échangent, les javelines qui se heurtent, les cuirasses qui se froissent, les boucliers qui résonnent avec un bruit sourd sous les coups, ébranlent l’atmosphère et vont éveiller de lointains échos jusque dans l’enceinte de Pylos et dans le camp de Sphactérie. C’est le fracas de la mêlée antique, fracas plus émouvant, plus terrible peut-être, dans la rumeur confuse de tous ses déchiremens, que ne le sera plus tard sur nos champs de bataille modernes le long et solennel roulement de l’artillerie. Impuissans témoins de la lutte à laquelle il leur est interdit de prendre part et qui va, en quelques instans, décider de leur sort, les soldats de Démosthène et les hoplites d’Epitadas, — c’est Épitadas qui commande à Sphactérie les Lacédémoniens, — contemplent avec stupeur ce spectacle. Soudain tout se tait ; les combattans se sont séparés. Les Lacédémoniens restent en possession de leur flotte ; les Athéniens ont la possession de la mer.
Que sert aux Lacédémoniens une flotte qui n’osera plus se détacher du rivage ? Les hoplites de Sphactérie en seront-ils moins séparés de l’armée ? Athènes en sera-t-elle moins libre de les tenir, à dater de ce jour, sous bonne garde ? Les hoplites de Sparte lui appartiennent, aujourd’hui qu’elle les a renfermés dans leur île, presque aussi sûrement que si elle les tenait prisonniers dans l’enceinte fortifiée de l’Acropole.
Quel deuil et quelle émotion dans Sparte, quand la lugubre nouvelle y fut portée ! La consternation ne fut pas plus grande au sein des cours chrétiennes lorsqu’on apprit, en 1396, la sanglante défaite de Nicopolis. Sparte sacrifiait sans hésiter ses enfans à la gloire de la patrie ; elle voulait qu’ils mourussent et mourussent sans murmure, dès qu’elle l’avait ordonné, mais elle savait ce que valaient de tels hommes. C’était un nouveau sacrifice des Thermopyles que le sort injurieux lui demandait ; son cœur, si ferme qu’il pût être, saignait à cette pensée. Pour quatre cent vingt Spartiates, Sparte aurait donné toute une armée d’ilotes et d’auxiliaires. Elle n’avait en ce moment rien de plus précieux que sa flotte ; elle l’offrit. Elle offrit ses soixante vaisseaux longs et, avec ces vaisseaux,