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ment par les documens précieux et nombreux qu’il nous donne sur l’état de l’instruction dans ce pays, mais encore et surtout par l’esprit d’observation, les réflexions morales, l’étude psychologique qui témoignent des goûts philosophiques de l’auteur. Dans ce livre, il ne se contente pas de parler de l’éducation ; mais il y joint ses vues sur l’état moral et politique du peuple américain, sur les maux qui le divisent et sur les questions graves qui pèsent sur son avenir. C’est enfin une étude des plus consciencieuses à ajouter à toutes celles dont les États-Unis d’Amérique ont été l’objet parmi nous. Bornons-nous ici à l’instruction.

De toutes les questions traitées par l’auteur, la plus neuve, la plus curieuse pour l’ancien continent, c’est la question de la coéducation des sexes. Il s’est fait en effet en Amérique une expérience psychologique des plus singulières, qui n’a jamais été tentée ailleurs et qui paraît avoir réussi, si l’on en juge par le nombre de témoignages sérieux et compétens qu’a recueillis M, Cuisson. Cette expérience consiste à faire élever ensemble les enfans des deux sexes, et cela non pas seulement dans le premier âge ou dans l’enfance même, comme cela a existé longtemps parmi nous et comme cela existe encore dans plusieurs états de l’Europe, mais dans tout le cours d’études, dans l’enseignement secondaire comme dans l’enseignement primaire, et même dans les écoles normales où les instituteurs et institutrices sont élevés ensemble, précisément à l’âge où le danger paraîtrait le plus grand aux Européens.

Sans doute, même en Amérique, ce régime n’est pas universel, et il est des états, par exemple celui de Maryland, où les deux sexes sont séparés comme en Europe ; mais il est général et gagne de plus en plus. Il est vrai, comme le remarque M. Buisson, qu’il n’a pas été à l’origine l’objet du choix, mais des circonstances ; cependant il est devenu par la suite volontaire, réfléchi, et on a fini par s’y attacher systématiquement. Ajoutons que plus d’une fois, le dédoublement ayant été essayé, on y a renoncé après une expérience plus ou moins longue, et l’on est revenu au type primitif.

M. F. Buisson a trouvé dans ce phénomène remarquable une occasion intéressante d’appliquer ses goûts d’observateur psychologue, et il l’a étudié avec un grand soin. Ce qui paraît résulter de cette étude faite avec autant de liberté que d’impartialité, c’est que les dangers que l’on serait tenté de prévoir ne se réalisent pas, au moins au degré qui serait à craindre pour contre-balancer les avantages du système, et que les inconvéniens sont d’une tout autre nature que ceux auxquels on s’attendrait naturellement.

Toute la société américaine repose, non en théorie, mais en fait, sur le principe de l’égalité des sexes. La loi et l’usage s’accordent en Amérique pour donner à la femme une très large part de liberté :