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terre ; il leur faut employer toute la vigueur de leurs bras pour en maintenir une des extrémités sur la proue, l’autre sur le rivage. Le sable se creuse et fuit sous l’extrémité qui cherche à s’y appuyer, entraîné par le retrait de la vague. Brasidas veut être le premier à passer sur ce pont branlant. Il s’élance ; une grêle de javelots l’a frappé de toutes parts. Plus heureux que l’amiral Howard qui se noya, le 25 avril 1513, dans une tentative pareille au Conquet, le valeureux Spartiate s’affaisse en arrière et tombe, criblé de blessures, entre les bras de ses compagnons. Sa main défaillante laisse échapper le bouclier qui le couvre et ce trophée, — le bouclier d’un brave entre les braves, — porté par les flots à la côte, est recueilli avec un juste orgueil par les Athéniens.


IV

La double attaque tentée contre Pylos se terminait par un insuccès. Les Lacédémoniens auraient dû, sans perdre un instant, opérer leur retraite ; un esprit de vertige les retint sur la rade où ils ne pouvaient se flatter de demeurer plus longtemps les maîtres. Quarante voiles athéniennes sont déjà réunies sous l’île de Prodano, île déserte bien connue des croiseurs qui bloquèrent durant plusieurs mois la flotte d’Ibrahim, rocher d’un ou deux milles de tour que quelques lieues à peine séparent de Pylos et de Sphactérie. Les quarante voiles font partie de l’escadre qu’Eurymédon a conduite à Corcyre ; Eurymédon les a ramenées en toute hâte sur les côtes de la Messénie pour répondre à l’appel pressant de Démosthène. Elles sont arrivées de nuit et attendent la lumière du jour pour préparer leur attaque. Le jour venu, elles pénètrent dans la baie par la grande passe. Les vaisseaux de Sparte sont rangés tout au fond de la rade, adossés à la plage, la proue en avant. Que pourra contre l’impétuosité de « la guêpe attique » cet ordre défensif ? Cinq vaisseaux péloponésiens sont enlevés en quelques minutes ; les autres, intimidés, reculent jusqu’à la côte. La proximité du rivage devient une tentation trop forte en ce moment d’effroi ; des équipages entiers abandonnent leurs navires. Du haut de leurs trières, les Athéniens ont jeté les grappins sur ces épaves ; ils les remorquent au large, s’excitant mutuellement, avec de grands cris de victoire ; mais l’armée du Péloponèse a vu le danger : c’est sa flotte qu’on entraîne, c’est le pont jeté entré Sphactérie et le continent qui s’effondre. Elle accourt de toutes parts, elle se porte en masse au rivage ; généraux, polémarques, lochages, pentécontères, énomotarques, taxiarques, surites, peltastes, hamippes, archers, frondeurs, lithoboles, tout s’en mêle. Il faut sauver les vaisseaux ou les quatre cent vingt hoplites, enfermés dans Sphactérie, sont perdus ! La plage en ce