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la chiourme demeure alors couchée entre les bancs, tandis que l’autre, rangée sur le tiers ou sur la moitié des rames, maintient la trière en route et ne cesse pas ! de lui imprimer une certaine vitesse. On ne peut dire qu’il y ait joute entre les deux galères, car l’équipage qui porte l’ordre impitoyable ne met probablement pas grande hâte ni grand enthousiasme à remplir sa mission. L’avance néanmoins est trop forte, la trière de miséricorde aura vogué en vain ; deux ; jours, trois jours se passent, la mer est restée déserte.

La vigie de Mytilène cependant ne cesse pas d’explorer des yeux l’horizon, car Pachès a demandé et Pachès attend des ordres ; tout un peuple à ses pieds, dans l’angoisse et les larmes, partage son attente. Une trière se montre enfin du côté de l’ouest ; elle grossit, approche, elle a doublé le cap méridional de Lesbos, quelques coups d’aviron encore, elle donnera dans le port. Ses rames battent l’eau lentement et presque à regret. Cette allure mélancolique ne présage rien de bon aux Mytiléniens. Pachès, fils d’Ëpicure, lit le fatal décret ; son visage a pâli. Le commandant de la flotte athénienne est tenté de maudire en ce moment sa victoire. On peut à la légère ordonner un massacre ; il est plus dur de l’exécuter. Pendant que Pachès hésite, pendant qu’il supplie les dieux de réserver à d’autres l’horrible tâche, des cris partent du port : « Un navire ! un navire ! » Les dieux n’ont pas été sourds ; la seconde trière aborde au rivage. Pachès n’aura donc point de sang à verser ! Le peuple ne lui prescrit plus que de raser les fortifications qui ont arrêté pendant près d’un an ses hoplites et d’envoyer au Pirée la flotte confisquée de Mytilène.

« Si l’on m’ouvrait le cœur, disait Nelson avant Aboukir, on y lirait ces mots : « Je n’ai pas de frégates ! » Toute armée navale en effet qui ne peut s’éclairer au loin est une armée compromise, si elle tient à éviter l’ennemi, une armée égarée, si elle le cherche. Les Athéniens, plus sages sous ce rapport que les Anglais, n’avaient pas laissé partir leur amiral sans lui donner le moyen de s’entourer de vedettes. Ils avaient attaché à la flotte de Pachès deux yachts de plaisance, le Paralos et la Salaminienne. Généralement employés à transporter les offrandes et les théories sacrées à Délos, ces deux yachts possédaient une marche rapide et des équipages de choix. Ils étaient donc éminemment propres, aussi propres que le sont de nos jours le Desaix et l’Hirondelle, à remplir l’office important d’éclaireurs. Les Péloponésiens côtoyaient, sans trop savoir à quel parti s’arrêter, le golfe de Smyrne, ils contournaient la presqu’île de Vourla ; le Paralos et la Salaminienne finirent par les découvrir au mouillage d’Ephèse. Ce fut une grande surprise et un grand effroi parmi les Péloponésiens quand ils virent ainsi leur présence