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glorieuses ivresses dont les grandes découvertes des trois derniers siècles ne l’ont pas tout à fait guéri. L’homme ne révèle son essence divine que lorsqu’il se dévoue ; la fange qui s’oublie prouve par cela seul qu’il y a en elle autre chose que de la fange. Voilà pourquoi les champs de bataille ont de tout temps inspiré les poètes, pourquoi l’instinct des peuples a consacré par un éternel souvenir les noms des guerriers morts pour la patrie. Ingrats envers les vivans, les Grecs ne marchandaient pas les honneurs aux héros, dès que ces héros avaient traversé le Styx. Aussi la république d’Athènes a-t-elle toujours été bien servie. Être inscrit dans ses fastes était une bien autre gloire que d’être admis à la préséance dans ses fêtes. C’était par cette noble ambition surtout qu’Athènes tentait les courages et qu’elle préparait aux générations futures des grands hommes. Plutarque, on le sait, et il est presque superflu de le rappeler, fut, aux jours difficiles de la république française, l’épée de chevet des capitaines improvisés qui nous sauvèrent. Sortis pour la plupart du rang, ces soldats de la veille n’auraient jamais aspiré au rôle important qu’ils ont joué, s’ils n’y avaient été provoqués.par de généreux exemples.


II

L’antiquité n’a pas toujours été juste envers les souverains ; je crains qu’elle n’ait pas été beaucoup plus équitable vis-à-vis des démagogues. Périclès était mort dans la troisième année de la guerre du Péloponèse ; après avoir hésité quelque temps entre Cléon et Nicias, la faveur du peuple passa tout entière à Cléon. Je me garderai bien de dire que Cléon fût un galant homme, le mot n’aurait peut-être pas eu de sens dans Athènes, mais en ne tenant compte que du témoignage de ses ennemis mêmes, — ce sont les seuls qui aient écrit son histoire, — on ne peut s’empêcher de reconnaître que le fougueux conseiller du peuple, le Paphlagonien de la comédie des Chevaliers, fut un homme entreprenant, souvent heureux dans ses entreprises et qui eut le suprême honneur de rencontrer la mort d’un soldat sur le champ de bataille. « Il n’était pas général, me dira-t-on. Quiconque apporte aux affaires de guerre son audace et sa volonté a le droit, quand les choses tournent bien, de s’attribuer le mérite du succès. Ce n’est pas là, — qu’on me passe le mot, car le mot est d’Aristophane, — « escamoter la marmite qu’un autre a fait bouillir. »

Il fallait, dans la république athénienne, « avoir été rameur avant de prétendre à tenir le gouvernail ; » pour être général, quand le suffrage du peuple vous avait élu ; il suffisait de trouver, comme on