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Nous n’avons plus de chiourmes ; nous avons des chauffeurs. Ce dernier métier est presque aussi rude que l’autre. Les Arabes et les Noirs sont seuls en état, dans certains parages, d’en endurer sans tomber et sans défaillir l’épouvantable supplice. Un de mes amis, le meilleur de mes amis, le capitaine de vaisseau Miquel de Riù, qui fut poète à ses heures, a fort bien décrit, dans des vers qu’il ne destina jamais à voir le jour, le spectacle que présentent, à la mer, qu’offrent même, dès l’instant de l’appareillage, nos chambres de chauffe.


Lorsque le pont, comme la feuille,
Tremble sur son feu prisonnier,
Quand le chauffeur tout nu recueille
La lave de l’ardent foyer,


on a sous les yeux l’image d’un enfer en ébullition. La marine n’a connu qu’un âge d’or : c’est celui où le vent, habilement capté, se chargeait de toute la besogne. Cet âge d’or est compris entre deux siècles de fer : le siècle du forçat et le siècle du chauffeur. Plus nous avancerons dans l’étude de la marine antique, plus nous serons frappés des analogies qui existent entre le bâtiment mû par une machine et le navire que poussèrent autrefois sur l’eau les longues rangées de rames. Que la science ne se lasse pas ! Après nous avoir donné le fulmicoton, le picrate de potasse, la nitroglycérine et la dynamite, après avoir transformé la guerre au couteau, la guerre au canon, en ces attaques sournoises où la chimie joue un si grand rôle et qu’on a très spirituellement nommées a une guerre d’apothicaire, » la science a encore un devoir à remplir : il faut qu’elle nous affranchisse de la vapeur. Le ciel ce jour-là redeviendra bleu, et il n’y aura plus de damnés au-fond de nos cales.

Que ce soit l’électricité ou la vapeur qui nous conduise, nous aurons toujours grand profit à consulter l’histoire. Revenons donc à la guerre du Péloponèse et reprenons-en le récit au point où nous l’avons laissé, c’est-à-dire à l’année 429 avant Jésus-Christ. L’histoire a un côté qui ne peut guère vieillir : c’est le côté humain. Le principe de la fixité des espèces préside en effet à nos manifestations morales non moins qu’à notre développement physique. Au propre et au figuré, l’homme du XIXe siècle, cet homme qui dispose en souverain des forces de la nature, n’a pas beaucoup grandi ; c’est à peine si nous lui trouverons, dans ses types les plus achevés, la taille de ses ancêtres. Dieu le fit, dès le début, de stature moyenne ; petit il était, petit il est resté. S’il se hausse parfois jusqu’à des hauteurs qui semblaient devoir, par l’infirmité de sa nature, lui demeurer à jamais inaccessibles, il en faut remercier les saintes et