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formerait, à elle seule, pendant longtemps, la partie antique, n’y prendrait-elle et n’y garderait-elle pas beaucoup plus d’importance que perdue au milieu des richesses de l’une des anciennes galeries de l’Europe ? À Londres ou à Paris, les produits de la plastique et de la céramique cypriote, plus faits pour intéresser l’archéologue que pour charmer l’artiste, ne seraient-ils point comme écrasés par le voisinage des chefs-d’œuvre de la Grèce et de Rome ?

Le général ne fut pas insensible à ces raisons ; il se transporta donc en Amérique avec les dépouilles de Cypre. Le comité du musée n’avait pas en caisse les fonds qu’exigeait cet achat ; pendant qu’il ouvrait une souscription nouvelle destinée à les lui procurer, M. John Taylor Johnston lui en fît l’avance, et la collection fut acquise, en 1873, pour la somme de 61,000 dollars, environ 320,250 francs. Elle était alors composée d’environ dix mille pièces[1] ; afin de pouvoir mettre sous les yeux du public au moins les plus importantes, le comité prit aussitôt en location, pour cinq ans, la Douglas mansion, dans la quatorzième rue. En 1872, 500,000 dollars avaient été votés par la législature de l’état de New-York pour la construction d’un musée dans le Central-Park, et la ville avait donné les terrains ; mais on en était encore à dresser et à discuter les plans. La construction ne fut commencée qu’en 1874, et les travaux ne seront achevés, selon toute apparence, qu’en 1879. Il fallait donc en attendant pourvoir aux nécessités d’un établissement provisoire ; le meilleur moyen de flatter l’amour-propre et de stimuler la libéralité des souscripteurs, c’était de leur montrer quel parti leurs mandataires avaient tiré de l’argent qu’ils avaient reçu, comment ils s’en étaient servis pour dérober à l’Europe des richesses que celle-ci ne se consolerait point d’avoir perdues sans retour.

Les trustees, encouragés par le succès, avaient poussé plus loin encore leur ambition. Le général retournait à son poste ; il fut convenu avec lui qu’il recommencerait, sur une grande échelle, de nouvelles fouilles. Les frais en seraient supportés par le Musée métropolitain, auquel appartiendrait tout ce qu’elles produiraient. La terrible crise financière qui sévit bientôt après sur les États-Unis força le comité à renoncer aux charges et aux avantages de cette

  1. Elle ne comprenait pas tous les objets, sans exception, qui avaient été trouvés par M. de Cesnola depuis son arrivée dans l’île ; pour fournir aux frais de ces fouilles, celui-ci avait, à diverses reprises, fait des ventes partielles à Paris, à Londres et à Berlin ; ainsi j’ai sous les yeux le catalogue rédigé par M. Froohner en vue d’une vente qui eut lieu en mars 1870. Il porte pour titre : Antiquités cypriotes provenant des fouilles faites en 1868 par M. de Cesnola. D’ailleurs toutes ces cessions n’avaient guère porté que sur des monumens de petite dimension ; les grandes figures sont toutes en Amérique.