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sée. Sur ces renseignemens, la Russie envoya à Cypre, dans ce même été de 1870, un des conservateurs du musée de l’Ermitage, chargé de négocier un achat. Les négociations n’aboutirent pas ; mais l’archéologue auquel avait été confiée cette mission, M. Dœll, avait passé près de deux mois à Larnaca, et les avait employés à dresser l’inventaire des richesses dont le propriétaire lui-même, toujours occupé à les augmenter, ne savait pas bien le compte. Pour se dédommager de l’acquisition manquée, l’Académie impériale de Saint-Pétersbourg, en 1873, fit imprimer dans ses Mémoires le catalogue qu’avait dressé M. Dœll et y joignit dix-sept planches lithographiées. Jusqu’au jour où nous avons eu la relation même de M. de Cesnola, cet inventaire illustré était encore ce qui nous instruisait le mieux de ses découvertes, ce qui nous faisait le mieux connaître la statuaire et la céramique cypriotes, telles que ses fouilles les avaient révélées.

Ce qui avait peut-être empêché les propositions russes d’être accueillies, c’est que des pourparlers étaient engagés au même moment avec le Louvre ou plutôt avec l’empereur en personne. Celui-ci pouvait se laisser tenter par la pensée de joindre cette galerie, unique dans son genre, à la galerie Campana, qu’il avait achetée dix ans plus tôt ; c’était un sûr moyen de relever encore la valeur et le renom de cette partie de nos collections qui avait reçu le titre de Musée Napoléon III. La guerre franco-allemande vint interrompre brusquement les négociations. Ce fut alors le Musée britannique qui parla d’acheter ; mais on voulait voir les objets à Londres, pour pouvoir les étudier et les évaluer à loisir. Le général se décida donc à les y transporter ; mais cette Opération ne laissait pas de le préoccuper. Ses dernières découvertes avaient éveillé chez les fonctionnaires turcs de vives convoitises ; on racontait partout qu’il avait trouvé dans ses fouilles ce qu’elles devaient lui donner seulement quelques années plus tard, de l’or et de l’argent à profusion ; les pachas auraient été heureux de saisir au passage toutes ces richesses, quitte à en rendre quelque chose au sultan. Un mot du gouverneur avertit le général des difficultés qu’il rencontrerait ; un jour, en causant, ce personnage lui fit observer que son firman lui permettait bien de fouiller où et quand il lui plairait, mais ne prévoyait ni n’autorisait l’exportation des objets trouvés. M. Lang avait bien une fois fait sortir, à la barbe des douaniers, une de ses plus belles statues ; les matelots d’une frégate autrichienne l’avaient étendue sur une civière et couverte d’un drap ; puis, en passant devant le corps de garde, ils avaient dit emporter à bord un de leurs camarades qui venait d’être frappé d’insolation ; la chaloupe attendait à quai, en un clin d’œil on y couchait, avec toute sorte de précautions, le prétendu malade ; on