Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/599

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
593
L’ÎLE DE CYPRE.

par là et ne nous ait pas transmis, comme pour Delphes ou Olympie, la substance de leurs explications et de leurs contes même les plus fabuleux !

L’île n’a pas de routes carrossables ; ce ne fut pas chose facile que de conduire à Larnaca les plus grosses pièces, moitié à dos de chameau, moitié sur des chariots dont les roues étaient retirées à la descente des collines et qui étaient alors employés à la façon des traîneaux. Enfin, vers le milieu de l’été de 1870, tous les monumens trouvés à Golgos étaient réunis, dans la maison du consul et dans ses dépendances, à ceux que lui avaient procurés les fouilles entreprises les années précédentes. C’était un vrai musée, dont la possession attirait à M. de Cesnola bien des visites, parfois importunes et gênantes. Les touristes de Cook, gens d’ordinaire peu lettrés et qui de la curiosité n’ont que l’indiscrétion, débarquaient par bandes de vingt à trente, les jours où le paquebot de Syrie faisait escale à Larnaca ; ils prenaient d’assaut le jardin et la cour du consulat, ils insistaient bruyamment pour voir la collection. « Si par hasard je me trouvais là, dit M. de Cesnola, on me faisait mille et mille questions auxquelles il n’était pas toujours facile de répondre. Je me rappelle une dame anglaise d’un certain âge, dont la longue figure était encadrée, selon la tradition, de cheveux frisés en tire-bouchon ; après avoir attentivement considéré les statues de Golgos, elle me demanda, du ton le plus grave, si je voulais avoir la bonté de lui expliquer les mystères du culte de Vénus. Lorsque beaucoup de personnes étaient admises à la fois dans les pièces encombrées d’antiquités, il n’était pas toujours facile d’empêcher les visiteurs de manier les petits objets posés sur des tables ou des tablettes, et plus d’une fois, après le départ de la bande, certains de ces objets ne se retrouvaient point. Des gens qui ont toutes les apparences extérieures de l’honnêteté ne se font aucun scrupule de mettre des antiquités dans leur poche, de casser le nez d’une statue pour le rapporter chez eux, comme un trophée. C’est là un phénomène étrange, mais dont il ne m’est plus permis de douter ; je suis payé pour y croire. »

Par bonheur, M. de Cesnola reçut d’autres visites que celles de ces fâcheux. Plusieurs connaisseurs passèrent par Cypre, examinèrent la collection et en parlèrent en Europe. Ces rapports furent confirmés par des documens incomplets encore, mais authentiques. M. de Cesnola ne savait pas dessiner ; il n’avait pas de photographe à sa disposition ; pour pouvoir donner une idée des objets qu’il possédait, il fit venir un appareil, il s’apprit à lui-même la photographie et fut bientôt en état d’expédier aux savans de l’Occident des images fidèles, sinon toujours élégantes, des pièces principales de son mu-