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élevée et dédiée par notre seigneur Baalram à notre dieu Reshep Mikal. Puisse-t-il écouter sa voix et le tenir ! » Il faut voir dans l’étude de M. Bréal, déjà citée par nous, quel rôle capital ce texte bilingue a joué dans le travail du déchiffrement de l’écriture cyprienne. M. Lang s’y était essayé le premier ; il avait eu quelques vues ingénieuses et justes, mais il avait été trompé par certaines analogies qu’il avait cru saisir entre l’alphabet de Cypre et celui de la Lycie[1]. Ce fut l’assyriologue George Smith qui, après une attentive comparaison des deux textes, procéda au déchiffrement « avec une sagacité qu’on oublie presque d’admirer, le génie se présentant sous la forme du bon sens porté a la plus haute puissance. » Elle était trouvée, la clé qui devait ouvrir cette porte si longtemps fermée ! Dans le texte cypriote, Reshep Mikal devenait Apollon Amycléen. Cette transcription a une importance capitale ; elle nous montre une fois de plus quelle influence la Phénicie a exercée, dans des temps lointains, sur la naissance et le développement des religions grecques. On se tromperait donc en restreignant cette influence à la conception et au culte d’Aphrodite ; l’Apollon Amycléen de Laconie paraît être aussi d’origine syrienne. Autre conséquence : le temple découvert par M. Lang était consacré à un dieu que les Phéniciens invoquaient sous le nom de Reshep et les Grecs sous celui d’Apollon.

Ce ne fut pas là tout le butin épigraphique qui fut recueilli par M. Lang sur ce même point ; il en tira encore huit autres inscriptions sur marbre, dont six phéniciennes, une grecque, une cypriote. L’année suivante il faisait à Pyla, tout près de sa ferme, des fouilles qui lui donnèrent aussi plusieurs statues, dont quelques-unes plus grandes que nature ; elles avaient été trouvées dans des restes de substructions qu’il croit avoir appartenu à un temple. Ce fut surtout le Musée britannique qui s’enrichit des découvertes de M. Lang ; mais des objets provenant de sa collection se rencontrent aussi dans d’autres musées de l’Europe, ainsi à Berlin et à Paris.

Le successeur de M. de Maricourt, M. Tiburce Colonna-Ceccaldi, aujourd’hui commissaire de France au Monténégro, fit aussi à Dali et sur quelques autres points de l’île d’importantes recherches dont le Louvre a largement profité[2]. Le consul anglais, M. Sandwith,

  1. Society of biblical archeology, t. I, p. 116 : on the discovery of some cypriote inscriptions, by R. Hamilton Lang. Le même cahier contient, quelques pages plus loin, le mémorable essai de G. Smith, on the reading of the cypriote inscriptions.
  2. M. T. Colonna-Ceccaldi a lui-même exposé devant l’Académie des inscriptions et belles-lettres les principaux résultats de ses recherches (Comptes-rendus, 1878, p. 300). La Revue archéologique (t. XIX, pl. V et VI) a fait graver les principales pièces de la collection qu’il avait formées.