Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/591

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
585
L’ÎLE DE CYPRE.

vase se rompit, en laissant voir des médailles qui brillaient au soleil. Ses compagnons ne s’étaient aperçus de rien ; il se hâta de recouvrir le vase, pour revenir le prendre quand il serait seul ; mais quelques instans après, pris d’inquiétude et de curiosité, il le dégageait de nouveau pour bien se convaincre qu’il n’avait pas rêvé. Cette fois, l’éclat du métal attira les yeux du voisin ; il fallut partager à cinq. On compta les pièces, et les heureux associés emportèrent leur butin. Ils gardèrent le secret pendant deux grands jours ; au bout de ce temps, ne pouvant contenir sa joie, la femme de l’un d’eux conta la chose à ses commères. Le bruit en vint aux oreilles de M. Lang. Il se mit en campagne ; quelques heures après, il avait entre les mains six cents statères d’or de Philippe et d’Alexandre. Il les avait échangés contre autant de napoléons. Sans doute il faisait, c’est le cas de le dire, un marché d’or ; mais les vendeurs n’avaient pas non plus à s’en plaindre. C’était une chance pour eux de trouver là quelqu’un qui fût en mesure de débourser, dans la journée, une somme de 12,000 francs. À garder leur trésor et à vouloir en tirer eux-mêmes parti, ils n’auraient gagné que des avanies ; l’autorité turque aurait employé tous les moyens pour les dépouiller. C’est ce qu’ils comprirent ; ils avaient dissimulé d’abord un certain nombre de pièces ; ils finirent par les céder presque toutes, les unes après les autres, à M. Lang ; celui-ci évalue à une centaine environ celles qui lui échappèrent. Toutes ces médailles étaient d’ailleurs bien conservées et quelques-unes à fleur de coin. Les types très communs une fois écartés, cette suite de monnaies, soigneusement étudiée par M. Poole, fournit au cabinet du Musée britannique quatre-vingt-douze variétés nouvelles du statère des deux célèbres conquérans.

La surprise était agréable pour les numismates et l’opération fructueuse pour M. Lang ; cependant celui-ci, dans ses fouilles de Dali, avait fait une dernière découverte dont il était plus fier encore. Lui si calme d’ordinaire, on pourrait même dire si froid, il enfle ici la voix et prend un ton presque lyrique : « Cette pierre, s’écrie-t-il, vaut à elle seule tous les trésors trouvés dans les mines et les tombes de l’île ; je n’échangerais pas contre eux le bonheur de l’avoir trouvée de mes mains ! » Il s’agit d’une inscription bilingue, phénicienne et cypriote, sur marbre, qu’avait aussi fournie le site du temple. La partie cypriote était à peu près intacte ; quant à la partie phénicienne, elle était mutilée ; mais, par une heureuse coïncidence, d’autres inscriptions phéniciennes d’un contenu analogue, trouvées à la même place et dans le même temps, permettaient de suppléer avec certitude les parties qui manquaient. Elle se lisait ainsi : « Le… jour du mois,… dans la quatrième année du roi Melekyathon, roi de Kition et d’Idalion, cette statue fut