Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/588

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
582
REVUE DES DEUX MONDES.

en 1849, il gagnait l’épaulette de lieutenant et la croix sur le champ de bataille de Novare. C’était alors, dit-on, le plus jeune officier de l’armée sarde.

De pareils débuts semblaient promettre une carrière brillante ; mais le jeune homme avait l’esprit aventureux et la tête vive ; à la suite d’une discussion avec ses chefs à propos de je ne sais quelle question de discipline, en 1854, il donnait sa démission. Il ne pouvait pourtant ni ne voulait rester oisif ; il entra au service de l’Angleterre, qui cherchait alors par tous les moyens à grossir les forces qu’elle avait en Crimée. La conclusion de la paix entre la Russie et les puissances alliées vint lui rendre sa liberté, ne trouvant point dans son pays ni dans l’ancien monde l’emploi de son activité et de ses talens, il passa en Amérique, s’établit à New-York et y vécut de leçons d’italien, de musique et d’équitation. Sa tournure et sa belle humeur, ses façons de gentilhomme et de soldat lui avaient ouvert quelques-unes des meilleures maisons de la ville ; sa couronne de comte n’avait pas nui à son succès. ; on sait quel cas cette société toute démocratique fait des titres de noblesse européens. Elle se vante bien haut d’être toute nouvelle, de dater d’hier à peine ; elle repousse en principe toute distinction honorifique, mais les instincts secrets et profonds du cœur humain prennent leur revanche dans cette involontaire déférence qu’elle témoigne à ceux qui ont pu qui prétendent avoir des ancêtres, c’est-à-dire un passé de famille, des traditions remontant à plusieurs siècles. Ses respects ne s’adressent d’ailleurs pas toujours à des blasons aussi authentiques que celui des comtes Palma.

Servi par ces circonstances et par ces avantagea, M. de Cesnola épousa, en 1861, la fille de l’un des meilleurs officiers de la marine fédérale, le commodore Samuel Reid. Ce mariage lui assurait de puissans appuis ; aussi, quand éclata la guerre de sécession, quand les états du Nord se virent forcés d’improviser, en quelques mois, les cadres de plusieurs armées, fut-il nommé d’emblée colonel d’un régiment de cavalerie, le quatrième de New-York. En cette qualité, il prit une part des plus distinguées à toutes les actions de la rude campagne du Potomac, et il était en passe d’arriver à la plus haute situation quand il eut le malheur d’être fait prisonnier au combat d’Aldie, en Virginie : pour la cinquième fois de la journée il chargeait à la tête de son régiment ; son cheval fut tué sous lui ; il tomba aux mains de l’ennemi. La captivité dura neuf mois et fut très pénible. Un cartel d’échange lui permit de reprendre son commandement ; il le garda jusqu’au jour où le régiment fut licencié, en 1865. Alors, malgré les plus flatteuses instances, il témoigna la volonté bien arrêtée de renoncer à la carrière militaire. Il avait largement payé sa dette a sa patrie d’adoption ; pendant ces quatre