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choisissent le commerce, 10 pour 100 l’enseignement, 3 pour 100 sont indécises, 70 pour 100 se décident à vivre du travail de leurs mains, Sur ce nombre, ce qui prédomine ce sont les travaux d’aiguille, et au premier rang la couture ; 52 pour 100 en effet veulent être couturières. Ce qui rend ce tableau fort curieux, c’est que d’une manière tout à fait instinctive et spontanée, cette classification des vocations se trouve en rapport avec les besoins de l’industrie parisienne, tels que les fait connaître la dernière enquête de la chambre de commerce[1].

De toutes les professions, celle qui l’emporte de beaucoup pour le nombre des choix, comme on vient de le voir, est celle de couturière. La raison en est donnée en termes très clairs par une de nos jeunes filles : « C’est le métier le plus simple et le plus gagnant. » Une autre explique sa préférence en ces termes : « on ne dépend de personne ; a une autre : « on a un état dans les mains ; » un grand nombre : « on gagne vite. » Une pauvre enfant s’écrie du fond du cœur : « Ah ! que je voudrais gagner de l’argent ! » Qui pourrait en vouloir à cet enfant de ce cri intéressé ? Il ne trahit autre chose qu’une précoce expérience de la vie et des tristes chagrins d’intérieur dont la gêne est la cause. Le même sentiment se révèle sous des formes diverses : « Je voudrais gagner beaucoup pour rendre mes parens heureux ! » — « Il faut que je gagne vite ; nous sommes tant d’enfans[2] ! » Quelques-unes de nos jeunes filles vont un peu plus loin, et cherchent les raisons pour lesquelles cet état est plus lucratif que les autres. C’est que, « riche ou pauvre, on est obligé de porter des robes, » et « qu’on ne se passera jamais de couturière. » Deux d’entre elles font cette remarque fine et trop juste, hélas ! pour les ménages, c’est « qu’aujourd’hui la façon est plus chère que les étoffes. » Il y en a qui s’élèvent jusqu’à des considérations politiques : « On n’a pas à craindre les changemens de gouvernement. » D’autres font des châteaux en Espagne : « Je ferai mes affaires ; » — « je monterai une bonne maison ; » — « j’ai un oncle qui a fait fortune. » Des raisons pratiques et positives, passons aux raisons de goût : « On fait ses habits et ceux des autres ; » — « on s’habille soi-même ; » — « on s’habille à son goût ; » — « on est toujours à la mode. » Une se voit déjà mère de famille ; elle veut être couturière, « afin, dit-elle, de me raccommoder moi et mes enfans, si le bon Dieu m’en donne. »

  1. Voir les preuves à l’appui dans le rapport, p. 160.
  2. M. Gréard nous parait un peu se laisser entraîner par une pointe satirique en contradiction avec les tendances bienveillantes de son esprit, lorsqu’il dit : « Quelques-uns veulent gagner vite et beaucoup, comment ne seraient-ils pas de leur temps ? » Franchement y a-t-il jamais eu un temps où les pauvres n’ont pas aimé à gagner vite et beaucoup ? Il n’y a que les mendians qui n’ont pas cette ambition.